L’efficacité de la prévention en santé n’est plus à prouver, sauf si…

La prévention est efficace mais difficile à évaluer. Pourquoi ce décalage persiste-t-il et comment y remédier concrètement ?

Elle évite des maladies, allège les urgences, améliore la qualité de vie et réduit les dépenses. Pourtant, la prévention reste sous-financée et marginale dans les politiques publiques. Pourquoi ? Parce qu’on sait qu’elle marche sans toujours réussir à le prouver.

À l’heure où les dispositifs curatifs absorbent la majorité des budgets et de l’attention politique, la prévention s’impose comme une promesse frustrée. Son efficacité est largement documentée, mais sa valeur est encore trop souvent mal reconnue, faute d’outils adaptés pour mesurer ses effets. Un paradoxe tenace qui freine les investissements, malgré un retour sur investissement pourtant spectaculaire.

Un impact réel, mais invisible à l’œil nu

Le problème central de la prévention, c’est son temps long. Ses effets se mesurent rarement en semaines, parfois à peine en années, et souvent en décennies. Un exemple : le dispositif national « Mon Bilan Prévention » peut être évalué sur sa mise en place et son appropriation par les professionnels. Mais pour démontrer une baisse de l’incidence du diabète ou des maladies cardiovasculaires, il faudra attendre et observer pendant des années.

Même constat du côté des programmes nutritionnels ou d’éducation à la santé : les actions portent leurs fruits lentement, sans toujours permettre d’établir un lien de cause à effet direct. Les chiffres globaux masquent les trajectoires individuelles, les effets d’environnement ou les évolutions sociétales parallèles.

La conséquence est directe : sur les 9 % de dépenses nationales allouées à la prévention, seule une part minime est rattachée à des indicateurs évalués au niveau international.

Des biais cognitifs aux limites méthodologiques

La difficulté n’est pas seulement technique. Elle est aussi humaine. L’évaluation de la prévention est influencée par des biais cognitifs puissants : on se souvient davantage de ce qui est visible, spectaculaire ou récent. Résultat : on surestime les effets du curatif (une opération réussie, un médicament efficace) et on sous-estime les bénéfices invisibles d’un cancer évité, d’une fracture prévenue ou d’un AVC qui n’est jamais survenu.

À cela s’ajoute la complexité des facteurs confondants. Comment isoler, dans un environnement social mouvant, l’effet d’une campagne de prévention du tabagisme, d’une action en entreprise ou d’un outil numérique ? L’analyse quantitative atteint rapidement ses limites.

Geoffrey Rose, épidémiologiste britannique, l’avait bien résumé dès 1981 : la majorité des problèmes de santé publique ne viennent pas de ceux qui sont les plus à risque, mais de la masse de ceux qui le sont modérément. Prévenir dans une population peu malade génère des bénéfices collectifs mais difficiles à percevoir à l’échelle individuelle.

Le retour sur investissement existe, et il est solide

Pourtant, les études économiques sont formelles : la prévention rapporte. Chaque euro investi dans des actions ciblées (prévention du stress au travail, éducation nutritionnelle, lutte contre la sédentarité) peut générer entre 1,01 € et 4,81 € de bénéfices mesurables.

L’étude d’Asterès commandée par la French Care va même plus loin : un alignement de la France sur les meilleures pratiques de prévention de l’OCDE permettrait d’économiser 16,7 milliards d’euros par an, tout en gagnant deux années de vie sans maladie chronique.

Et pourtant, ces résultats ne débloquent pas de financement structurel. Pire : dans le secteur privé, certaines actions de prévention sont encore considérées comme des « avantages en nature » imposables pour les salariés. Un non-sens que dénonce le député Jean-Carles Grelier, qui appelle à sortir de cette vision court-termiste.

Nouvelles preuves, nouveaux outils : une évaluation en mutation

Heureusement, les lignes bougent. Santé publique France a lancé la base ReperPrev, un registre de programmes de prévention qui ont fait leurs preuves. Loin du modèle rigide des essais cliniques randomisés, cette base valorise les expériences terrain, les retours d’usage et les données observationnelles solides.

La Haute Autorité de Santé explore aussi de nouvelles pistes : l’analyse de verbatim patients via intelligence artificielle dans les enquêtes e-Satis, ou la valorisation des données issues de dispositifs comme les expérimentations Article 51.

Autre approche en plein essor : les évaluations qualitatives intégrant l’expérience des bénéficiaires. L’ARS Nouvelle-Aquitaine mise sur des « évaluations d’impact sur la santé » intégrant données sanitaires, facteurs sociaux et retours d’usage. Objectif : mieux comprendre ce qui fonctionne, pour qui, dans quelles conditions.

Vers une évaluation plus pragmatique, plus collective

Les limites de l’approche purement quantitative sont désormais reconnues. Mesurer l’absence d’événement reste un défi méthodologique redoutable. Mais cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à évaluer. Au contraire.

La solution passe par des modèles adaptatifs et itératifs. Le guide méthodologique Article 51 préconise une évaluation en trois temps : phase de préparation, bilan intermédiaire, puis évaluation finale. Cette logique d’ajustement progressif permet d’apprendre en marchant, plutôt que de bloquer faute de preuves définitives.

Autre tendance prometteuse : les communautés de pratique. En partageant leurs retours d’expérience, les professionnels de santé construisent ensemble une base de connaissances plus réaliste, plus nuancée, et mieux adaptée aux contextes locaux.

Repenser la preuve pour libérer le potentiel préventif

En définitive, la question centrale n’est plus : « Est-ce que la prévention fonctionne ? », mais bien : « Avons-nous les bons outils pour le démontrer ? ».

Il ne s’agit pas d’abandonner l’exigence de preuve, mais de la faire évoluer. En intégrant les retours d’usage, les dimensions sociales, les expériences des patients. En articulant données quantitatives et éléments qualitatifs. En sortant de l’obsession du résultat à court terme pour embrasser une vision systémique, ancrée dans le réel.

La prévention est, de loin, le levier le plus efficace de transformation de notre système de santé. Encore faut-il lui donner les moyens de prouver son efficacité et d’être reconnue comme telle.

Mickael Lauffri

Passionné par l'innovation technologique et l'impact de la science sur la médecine, je suis rédacteur spécialisé dans le domaine des technologies médicales.

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