Médecins sous contrainte : et si on faisait fausse route ?
Quand 87 % du territoire français est concerné par un accès insuffisant aux soins, la tentation d’imposer des solutions autoritaires est grande.

Eh oui, parlons-en de la remise en cause de la libre installation des médecins ! Vous n’en avez pas beaucoup entendu parler dans les médias ? C’est normal. Le débat agite surtout les coulisses de la profession.
Cette proposition de loi, qui prévoit de conditionner l’installation des médecins en zone sous-dotée, est-elle vraiment la bonne réponse à la crise ? Est-ce en contraignant qu’on résoudra la pénurie ? Ne risque-t-on pas, au contraire, de rendre l’exercice libéral encore moins attractif… et d’aggraver le mal qu’on prétend soigner ?
En janvier 2025, la plateforme « Ici » en partenariat avec Make.org révélait les résultats d’une grande consultation sur la thématique des déserts médicaux « Comment être mieux soigné en France ? ». Parmi des milliers de réponses, une chose est sûre : si certaines propositions ont fait consensus, l’idée d’imposer aux médecins d’exercer en zone sous-dotée a divisé. Autrement dit, même chez les citoyens, cette mesure n’est pas perçue comme une solution.
La liberté d’installation en péril
Le modèle de la médecine libérale repose sur un pilier fondamental : la liberté d’installation. Le médecin, en tant que professionnel indépendant, choisit librement où et comment exercer. Cette liberté n’est pas un caprice, mais fondatrice d’un choix de vie et une condition nécessaire à l’attractivité du métier. Retirer ce droit, c’est remettre en cause le sens même de l’exercice libéral, déjà fragilisé ces dernières années.
Imposer une régulation dans un contexte de pénurie généralisée est une idée risquée pour l’avenir de la médecine en France. En effet, le nombre de généralistes libéraux a chuté de 10 % en dix ans. Finalement, n’allons-nous pas répartir la rareté ? Certes d’autres mesures sont en discussion pour permettre d’augmenter le nombre de médecins en France, mais l’obligation d’installation est contraire à l’exercice libéral. Comme l’ont exprimé plusieurs organisations représentatives, « réguler une profession en pénurie ne solutionnera pas la pénurie elle-même».
Des effets contre-productifs pour l’attractivité de la médecine
La coercition n’est jamais un levier durable pour inciter à l’engagement. À force de restreindre les libertés, on risque de décourager toute une génération de jeunes médecins.
L’exercice en libéral, notamment en zone rurale, souffre d’un manque de reconnaissance et de moyens. Alors que le salariat devient un refuge, la régulation risque d’accélérer encore cette bascule, au détriment de la médecine de proximité.
Alors oui, les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les pôles de santé libéraux ambulatoires (PSLA) et autres acronymes se développent ; mais ce n’est pas la question.
En croyant bien faire, cette loi pourrait aussi créer un paradoxe absurde : interdire l’installation de médecins dans des zones dites « bien dotées », alors même que ceux qui y exercent déjà ne prennent plus de nouveaux patients. Quel élu local accepterait de voir sa commune refuser un médecin, au prétexte qu’un quota a été atteint, quand les salles d’attente débordent malgré tout ?
La position de DOCNDOC : on ne soigne pas mieux en imposant plus
Chez DOCNDOC, nous croyons à la force du choix, pas à celle de la contrainte. Depuis des années, nous travaillons à rapprocher les territoires en quête de soignants et les professionnels de santé en quête de sens. Et nous savons une chose : un médecin ne s’installera durablement dans un territoire que s’il en a envie. Le projet de vie doit précéder et accompagner le projet médical.
Notre démarche repose sur l’envie et l’accompagnement : faire découvrir les territoires, valoriser leurs atouts, améliorer l’accueil, simplifier les démarches, aider à trouver un emploi pour le conjoint, une école pour les enfants, un logement adapté. Un médecin est avant tout une personne. Et cette personne doit se projeter, s’épanouir, vivre.
Le problème, c’est l’attractivité des territoires, pas la liberté des médecins
Les « déserts médicaux » sont le symptôme d’un mal plus profond : la désaffection des territoires. Routes en mauvais état, écoles qui ferment, commerces qui disparaissent, services publics qui s’étiolent… Peut-on sérieusement espérer qu’un médecin, après 10 à 12 ans d’études, vienne s’installer dans un lieu que l’on présente comme un trou noir de l’offre et du lien social ?
Revaloriser ces territoires, les faire redevenir désirables, voilà la vraie mission. Plutôt que de pointer du doigt les médecins comme s’ils fuyaient leurs responsabilités, pourquoi ne pas donner envie de venir à leur rencontre ? Chaque région de France peut devenir une terre d’accueil pour la santé. Encore faut-il qu’elle se donne les moyens de séduire.
Arrêtons la coercition et passons à l’action !
Il est temps de sortir de ce débat sur la liberté d’installation. Ce n’est pas un affrontement idéologique qui résoudra la crise de l’accès aux soins. Ce qu’il faut aujourd’hui, ce sont des mesures concrètes, réalistes, et directement issues des besoins du terrain.
Plutôt que de contraindre, accompagnons ! Plutôt que d’opposer, travaillons avec la profession.
Le gouvernement a les leviers pour agir utilement :
- Former davantage de médecins et revaloriser des spécialités comme la psychiatrie (j’en parlerai dans une autre chronique)
- Faciliter et encadrer l’intégration des médecins diplômés hors UE, pour répondre à l’urgence dans certains territoires, sans rogner sur la qualité des soins.
- Mettre en place un véritable compagnonnage, qui permette aux étudiants en médecine de découvrir le quotidien de la médecine libérale en zone rurale pendant leur internat. (Car on ne peut pas choisir ce que l’on ne connaît pas. Faire vivre l’expérience du terrain, c’est souvent déclencher une vocation.)
- Développer des bourses étudiantes dans les zones rurales
- Continuer à soutenir la création de MSP, de PSLA et autres pôles
- Accompagner avec les aides à l’installation, des logements temporaires pour faciliter les remplacements
- Développer la télémédecine
Enfin, investissons également dans l’attractivité globale des territoires : services publics, mobilité, crèches, écoles, vie locale… C’est tout un écosystème qu’il faut reconstruire. Les médecins ne fuient pas les campagnes. Ils fuient l’isolement et l’inconnu.
Il ne s’agit pas de nier l’urgence. L’accès aux soins est une priorité. Cependant, répondre à cette urgence par des mesures autoritaires reviendrait à mettre un pansement sur une jambe de bois. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de contrôle, mais de confiance.
D’une politique qui accompagne, qui valorise, qui encourage.
La régulation des installations ne résoudra pas les déserts médicaux. Elle pourrait même les creuser. La vraie solution se construit sur la base du volontariat, de la reconnaissance et du respect de la liberté des médecins. Car un médecin heureux dans sa vie, c’est un territoire soigné dans la durée.