Exigences européennes du MDR et de l’IVDR en matière d’aptitude à l’utilisation : moteur ou frein à l’innovation ?

Norme EN 62366, MDR, risques d’usage : l’aptitude à l’utilisation est-elle un frein ou un levier pour innover en dispositifs médicaux ?

Depuis l’entrée en application des règlements MDR (2017/745) et IVDR (2017/746), la démonstration de la sécurité des dispositifs médicaux s’est durcie, notamment en ce qui concerne la traçabilité des activités liées à l’usage.

Les fabricants doivent démontrer leur conformité aux exigences générales de sécurité et de performance, dont l’aptitude à l’utilisation. Celle-ci vise à réduire au maximum les risques d’usage, tout en concevant des interfaces intuitives, efficaces et adaptées aux utilisateurs finaux.

Contrairement à une idée reçue, l’aptitude à l’utilisation n’est pas une exigence nouvelle. Elle est encadrée depuis 2007 par la norme IEC 62366, adoptée en Europe sous la forme EN 62366:2008, puis structurée par sa version actuelle EN 62366-1:2015/A1:2020.

Ce que les règlements européens ont renforcé, ce sont les exigences de traçabilité documentaire et l’élargissement du périmètre des dispositifs concernés. Les fabricants doivent fournir des preuves concrètes, structurées, et pleinement intégrées dans leur processus de conception et de gestion des risques

Cela pose une question centrale : ce niveau de rigueur est-il un levier pour l’innovation, ou un frein à la créativité dans le secteur Medtech ?

Des exigences perçues comme complexes et contraignantes

L’aptitude à l’utilisation impose une approche itérative, centrée utilisateur, qui doit être rigoureusement documentée. Il ne suffit pas d’affirmer qu’une interface est intuitive : il faut démontrer que les risques ont été identifiés, évalués et réduits, avec des utilisateurs représentatifs dans le contexte d’utilisation réel.

Dans un secteur aussi dynamique que celui de la Medtech, cette rigueur est parfois perçue comme un frein à la rapidité d’innovation. Les cycles de développement s’allongent, les équipes sont davantage mobilisées, les validations sont plus complexes, et les coûts associés à la conformité augmentent. Conséquence : la période d’investissement est rallongée et l’arrivée des premiers revenus retardée.

Par exemple, organiser des tests utilisateurs peut prendre du temps et mobiliser plusieurs profils internes (ergonomes, chefs de produit, RA/QA…). Pourtant, c’est une étape essentielle pour le développement d’un produit sûr et intuitif.

Les contraintes sont encore plus marquées pour les dispositifs de type SaMD (Software as a Medical Device), qui nécessitent des mises à jour fréquentes. Toute évolution d’interface peut impliquer une revalidation si elle impacte une tâche critique ou introduit un nouveau risque.

Pour les dispositifs commercialisés avant 2015 sans démarche d’aptitude à l’utilisation documentée, la norme prévoit un processus simplifié via l’annexe C (UOUP – User Interface of Unknown Provenance). Mais cette mise à niveau engendre des délais, des coûts imprévus et peut freiner certains projets voire un retrait du marché si la mise en conformité n’est pas réalisée.

Des exigences comme levier pour créer des dispositifs utiles et sûrs

Mais ces exigences ne sont pas un frein en soi. Leur objectif est de prévenir les erreurs d’utilisation et de garantir des dispositifs sûrs, compréhensibles et efficaces.

Le drame d’Épinal l’illustre tragiquement : entre 2004 et 2005, 24 patients ont été victimes de sur-irradiations, dont 5 sont décédés.

L’une des causes principales ? Une erreur de paramétrage logiciel, facilitée par une interface peu intuitive, sans alerte sur les dosages anormalement élevés.

Une erreur d’utilisation qui aurait pu être détectée et prévenue avec la mise en place d’un processus d’aptitude à l’utilisation lors du développement.

En impliquant des utilisateurs représentatifs dès les premières phases de développement, les fabricants peuvent mieux comprendre les usages réels, les besoins spécifiques du terrain, détecter les risques d’usage, et ajuster la conception avant qu’il ne soit trop tard.

Cette approche permet d’éviter des itérations coûteuses, d’augmenter l’adoption des dispositifs, et de limiter les incidents post-commercialisation.

Ce processus améliore la sécurité, structure la validation, et formalise les choix de conception. Il contribue à concevoir des produits plus robustes, alignés avec les besoins et contraintes du terrain.

Oui, les exigences européennes du MDR et de l’IVDR en matière d’aptitude à l’utilisation et leur application à travers la norme EN 62366-1, peuvent sembler complexifier les démarches, rallonger les délais et peser sur les budgets.

Mais elle est aussi un levier stratégique pour développer des dispositifs réellement adaptés, sûrs, adoptés et pérennes.

 Une technologie, aussi innovante soit-elle, ne peut remplir sa promesse que si elle répond à un réel besoin, gagne la confiance des utilisateurs, et peut être utilisée en toute sécurité.

Ce que visent les exigences, ce n’est pas d’imposer des processus arbitraires, mais d’ancrer la conception dans les usages réels. En exigeant la mise en place d’un processus d’ingénierie à l’aptitude à l’utilisation et en sécurisant les usages, la norme permet de faire la différence entre un dispositif simplement utilisable et un dispositif vraiment sûr, utile et utilisé.

Loin de freiner l’innovation, l’aptitude à l’utilisation renforce la pertinence, l’efficacité et la sécurité des dispositifs et donc, leur impact réel. C’est précisément ce que ces exigences visent à garantir : des innovations durables, sûres et bénéfiques pour tous.

Amandine Broussier et Ilona Guiraud

Amandine, spécialisée en aptitude à l’utilisation, veille réglementaire et gestion de projets dans le domaine des dispositifs médicaux. Ilona, UX designer et researcher, forte d’une expérience approfondie dans l’application des exigences normatives au design de produit. Leur collaboration repose sur une conviction partagée : l’aptitude à l’utilisation est un levier central – trop souvent négligé – pour garantir la sécurité, la compréhension et l’efficacité des dispositifs médicaux. En combinant expertise réglementaire et design centré utilisateur, Usarea propose un accompagnement sur mesure, rigoureux et humain, au cœur même du processus de développement. L’objectif : concevoir des dispositifs à la fois intuitifs, sûrs et conformes, sans freiner l’innovation.

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