La disparition progressive des petites pharmacies : les déserts appellent les déserts

En 2025, la France compte 20 242 officines de pharmacie. Cela représente une perte nette de 260 pharmacies en un an. Le rythme est implacable : près d’une fermeture par jour ouvré.

Depuis 2013, plus de 3 000 pharmacies ont fermé, principalement en zone rurale. Dans les Alpes-Maritimes, plus de 100 fermetures ont été enregistrées sur cinq ans. Le Morbihan, l’Aveyron ou encore la Creuse font partie des départements les plus touchés.

Des raisons structurelles et économiques

En 2024, la rentabilité des pharmacies s’est érodée. Les marges brutes ont chuté (environ de 30 % contre 32 % en 2023), malgré un chiffre d’affaires global stable ou en légère hausse. L’effet de ciseaux entre des coûts fixes (loyers, salaires, énergie) en hausse et les prix des médicaments remboursables en baisse accentue la pression. Les marges réalisées sur les médicaments génériques ont chuté de 40% entraînant colère et mobilisation, comme à Albi où les officines sont en grève.  Certaines officines ne parviennent plus à équilibrer leur trésorerie avec un chiffre alarmant :  20 % des petites pharmacies sont en déficit.

Manque de repreneurs pour les petites structures

Les pharmacies rurales ont du mal à trouver des acquéreurs. Les petites pharmacies en milieu rural ou semi-rural, même rentables, rencontrent des difficultés à attirer des repreneurs qui trouvent que la charge de travail est devenue trop importante. Les pharmaciens ont des tâches augmentées (vaccination, prescription, aide à la téléconsultation…) pour suppléer au manque de médecins. Une pharmacienne, en Côte d’Or, était prête à offrir son officine pour assurer la continuité des soins et laisser sa pharmacie ouverte pendant la saison estivale. 1740 pharmacies ont disparu dans les milieux ruraux depuis 10 ans.

Le départ massif à la retraite (21 % des titulaires ont plus de 60 ans) entraîne une vague de vente d’officine, mais dans un contexte de prix d’acquisition élevés (1,78 M€ en moyenne, soit 7,1 fois l’EBE) et de financement fragilisé, les jeunes pharmaciens refusent d’investir, faute d’attractivité.

L’émergence de géants : le rouleau compresseur des groupements

La disparition des petites pharmacies laisse un vide immédiatement comblé par les grands groupes pharmaceutiques. Les groupements et holdings se structurent : reprise, fusion, mutualisation sont en marche.

Les capacités financières des groupements permettent d’obtenir des prix attractifs, déploient la télémédecine et des robots de dispensation réduisant la pénibilité du travail auprès des pharmaciens d’officines.

Certains misent sur l’intelligence artificielle et permettent une optimisation logistique multipliant leur taille et leurs capacités augmentant la marge sur les services et la rentabilité. Les groupements négocient des prix intéressants sur la parapharmacie pouvant ainsi augmenter leur chiffre d’affaires ainsi les réseaux régionaux se déploient à grande vitesse.

La plupart des groupements peuvent également développer des services de santé connectés grâce à l’IA et l’industrialisation du modèle rendant le métier de pharmacien plus diversifié.

Digitalisation et diversification

Certaines grandes pharmacies peuvent avoir de grandes surfaces (~700 m² en moyenne), elles centralisent des achats, services innovants (télémédecine, cabines, fidélisation), et deviennent un acteur majeur du maillage pharmaceutique. Ces groupements combinent services digitaux et soins personnalisés. Les pharmacies “de services”, offrant téléconsultation, entretiens, vaccination, développent une image renforcée et sont mieux valorisées à la vente. L’automatisation et la digitalisation deviennent critiques : robots de stockage, gestion des rendez-vous, applications clients, etc.

Cette modernisation accroît la résilience des structures plus grandes, rendant les petites officines encore plus vulnérables.

Conséquences sur le maillage territorial et l’accès aux soins

La disparition des pharmacies rurales entraîne une désaffection des services de proximité, pénalisant l’accès aux médicaments et aux conseils médicaux. En milieu rural ou semi rural de désertification médicale, les petites pharmacies de village sont souvent le dernier service médical de proximité. Les fermetures fragilisent particulièrement les communes déjà en déficit médical, souvent les moins peuplées. Les pharmacies, longtemps considérées comme un pilier du système de santé communautaire, voient leur rôle menacé par des difficultés économiques structurelles.

A l’instar des déserts médicaux, le déficit en petites officines entraîne un point de vigilance dans le maillage pharmaceutique territorial. Les maires et les patients s’inquiètent d’une “privatisation silencieuse” de la santé au profit de logiques purement commerciales.

Appels à l’action : entre revendications et perspectives d’avenir

Les pharmaciens dénoncent la faiblesse de leurs rémunérations, le prix bas imposé aux médicaments, et le peu de soutien public malgré leur rôle essentiel, notamment en pandémie. En 2024 la mobilisation était massive : près de 90 % des pharmacies ont participé à une grève nationale pour exiger une revalorisation de l’enveloppe budgétaire à 7,8 milliards d’euros dès 2025, face à une proposition finale avancée pour… 2027.

L’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine (USPO) plaide pour une réforme de la convention pharmaceutique avec des honoraires revalorisés, simplification administrative, et adaptation au modèle économique actuel.

Un avenir incertain : vers un modèle à deux vitesses ?

Le nombre d’officines baisse régulièrement, les marges s’érodent, et la trésorerie est souvent fragile. Les petites structures, isolées, sont victimes d’un manque d’attractivité à la vente et de ruptures dans les soins de proximité.

Pendant ce temps, les groupements et réseaux puissants se renforcent, modernisent leurs services, et consolident le secteur. L’équilibre du maillage pharmaceutique, pourtant vital pour l’accessibilité aux soins, est en jeu. En 2025, la disparition progressive des petites pharmacies en France n’est plus un signal discret, mais une réalité tangible : d’un côté, des pharmacies urbaines ou intégrées à de grands groupes, modernes et rentables, de l’autre, des officines rurales ou isolées, fragiles et en voie de disparition.

Pascale Karila-Cohen

Dr Pascale Karila-Cohen, radiologue hospitalière, entrepreneuse engagée, fondatrice de docndoc.fr. Collectifs de professionnels de santé luttant contre les déserts médicaux depuis 2016.

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