La médecine prédictive accélère la bascule vers un soin avant la maladie
La médecine prédictive s'impose pour anticiper les maladies. Vers une révolution du soin axée sur la prévention personnalisée ?

Oubliez la prévention « one size fits all ». La médecine prédictive joue une toute autre partition. Elle analyse des combinaisons complexes génétique, imagerie, environnement, comportements pour estimer, individu par individu, un niveau de risque. L’idée ? Intervenir avant l’apparition du symptôme, au plus juste.
Prenons le cancer du sein. Predilife propose un score de risque qui croise antécédents, mammographies, tests ADN et hygiène de vie. Résultat : un suivi sur-mesure, ajusté à chaque patiente. Plus loin encore, ExactCure modélise le métabolisme de chaque individu pour prédire sa réaction aux médicaments. Objectif : éviter surdosage, effets secondaires ou inefficacité.
Ce n’est plus de la prévention à grande maille, mais un vrai pilotage individualisé. Et pour les soignants, une nouvelle façon d’envisager le temps médical : non plus comme réponse à l’urgence, mais comme stratégie d’anticipation.
Du concept à l’hôpital : des usages concrets, mais encore isolés
Sur le terrain, des services hospitaliers passent à l’action. L’AP-HP teste des algorithmes de prédiction de réhospitalisation après chirurgie cardiaque. À Rennes, le CHU expérimente une détection précoce du sepsis grâce à l’analyse continue de données. À Bordeaux, l’IA aide à prédire les complications en chirurgie digestive.
Côté territoires, les ARS s’y intéressent aussi : l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes pilote un projet de détection précoce du diabète chez les jeunes adultes, en croisant données d’activité, de consommation et localisation.
Mais l’adoption reste fragile. La médecine prédictive suppose une culture nouvelle : faire confiance à l’algorithme, intégrer des scores dans le raisonnement clinique, accepter des recommandations parfois probabilistes. Beaucoup de professionnels sont encore seuls face à ces outils, sans cadre clair ni formation adaptée.
Un paradoxe : plus c’est efficace, moins c’est mesurable
C’est l’un des grands défis de cette approche : comment évaluer un soin qui empêche l’événement d’advenir ? Par définition, plus la prédiction fonctionne, plus le résultat est invisible. Comment chiffrer une hospitalisation évitée ? Quel est le coût réel d’une complication non survenue ?
Les agences sanitaires restent attachées aux modèles classiques : essais randomisés, preuves dures, indicateurs cliniques. Pourtant, des acteurs comme Owkin ou Quantmetry introduisent aujourd’hui des boucles d’apprentissage en vie réelle pour faire évoluer les prédictions en continu. Mais cela ne suffit pas à structurer un modèle économique stable.
Le dispositif PECAN, censé offrir un cadre de remboursement transitoire pour les dispositifs numériques prédictifs, peine à décoller. Trop technique, trop flou, encore mal connu. Résultat : des solutions utiles restent sur le pas de la porte, faute de circuit clair pour accéder aux soins.
L’éthique au cœur du débat
Anticiper, oui. Mais jusqu’où ? Peut-on annoncer à une patiente qu’elle a 60 % de risques de développer un cancer dans dix ans, sans générer d’anxiété inutile ? Que se passe-t-il si ce risque ne se concrétise jamais ? Le consentement devient un enjeu central, tout comme la responsabilité du soignant face à des recommandations incertaines.
Le CCNE a tiré la sonnette d’alarme : ces outils doivent s’accompagner d’une médiation humaine solide. Et surtout, il faut distinguer médecine prédictive à visée de soin… et profilage commercial sous algorithme non encadré. Car la frontière est fine, et les acteurs privés parfois tentés d’aller vite, trop vite.
Une approche encore élitiste ?
Derrière la promesse, une autre réalité : pour l’instant, l’accès à la médecine prédictive reste réservé aux établissements les mieux équipés ou aux patients bien couverts. Or si ces outils doivent devenir des piliers de la santé publique, ils devront être intégrés aux parcours de droit commun, dans les territoires, les soins de premier recours, les centres de prévention.
Cela suppose une politique claire : financement, formation, intégration dans les référentiels cliniques. Et surtout, une volonté de décloisonner les données, condition sine qua non pour entraîner les modèles avec une diversité suffisante.
Et demain ? Une bascule populationnelle
Certains experts appellent à aller plus loin : intégrer la prédiction dans les politiques publiques de santé. Cela signifie utiliser les scores de risque non pas seulement au cas par cas, mais dans les campagnes de dépistage, l’éducation thérapeutique, voire l’organisation des soins à l’échelle d’un territoire.
Des projets européens comme GenoMed4All explorent déjà cette voie pour les maladies rares. En France, le Health Data Hub ambitionne de devenir un catalyseur de solutions prédictives. Mais les verrous sont nombreux : cadre éthique, accès aux données, robustesse des algorithmes… et acceptabilité collective.
La médecine prédictive ne remplacera pas la clinique. Mais elle peut l’éclairer, l’anticiper, la rendre plus fine. Si elle veut vraiment transformer le système de santé, elle devra sortir de l’entre-soi technologique pour s’ancrer dans les usages, les pratiques, les parcours.
Pour cela, il faudra prouver son intérêt, l’encadrer éthiquement, la rendre accessible. Et surtout, former les soignants, rassurer les patients, et donner à chacun les moyens de comprendre ce que signifie… un risque.
Anticiper, c’est bien. Mais encore faut-il savoir quoi faire de ce qu’on prévoit.