IA en chirurgie : vers un bloc opératoire augmenté
Planifier plus vite, opérer mieux, documenter plus finement : l’intelligence artificielle en chirurgie n’est plus un projet lointain, mais une réalité dans plusieurs blocs opératoires français. Et les bénéfices pour les chirurgiens se multiplient.

L’IA fait son entrée au bloc : ce que les chirurgiens ont à y gagner
Planifier plus vite. Opérer avec plus de précision. Décider avec davantage de sérénité. Dans plusieurs blocs opératoires français, l’intelligence artificielle n’est plus un concept abstrait, mais un levier concret de transformation. Et le mouvement ne touche plus seulement les grands CHU. Il commence à s’étendre, par spécialité, par indication, par pathologie. Pour les chirurgiens, cette montée en puissance de l’IA change la donne sur trois plans : l’analyse des données patients en amont, l’assistance en temps réel pendant l’intervention, et l’exploitation post-opératoire des signaux faibles. En bref, une nouvelle façon d’exercer.
L’intelligence artificielle à l’œuvre : ce qui existe déjà en France
En 2017, à l’hôpital Avicenne, le Pr Thomas Grégory réalisait la première chirurgie de l’épaule au monde assistée par réalité mixte. Depuis, les outils se sont sophistiqués, et l’IA s’est incrustée dans les coulisses du bloc. Grâce à l’analyse d’images peropératoires et à l’automatisation de certaines étapes, l’intelligence artificielle contribue désormais à guider, corriger, prédire.
Le CHU de Toulouse, par exemple, a intégré le robot Epione, conçu par la société montpelliéraine Quantum Surgical. Ce dispositif, dédié au traitement des tumeurs abdominales ou pulmonaires par thermoablation, exploite l’IA pour générer un plan opératoire personnalisé à partir des données d’imagerie du patient. L’objectif est clair : offrir une trajectoire optimale pour atteindre une lésion avec le minimum d’invasivité, tout en contournant les structures à risque.
Autre exemple concret : l’AP-HP teste actuellement la plateforme Connected Surgery, développée avec la société Caresyntax. Cette solution capte et analyse en direct les flux vidéo, les constantes vitales et les gestes du chirurgien pour proposer des alertes et indicateurs qualité en temps réel. Une assistance qui reste discrète, mais qui peut faire la différence dans un moment critique.
Des usages concrets, spécialité par spécialité
En chirurgie digestive, l’IA est utilisée pour détecter automatiquement les structures anatomiques lors d’interventions sous coelioscopie. Des projets en cours visent à identifier en temps réel les vaisseaux, nerfs, zones à risque, réduisant ainsi le taux de complications hémorragiques.
En orthopédie, des algorithmes aident à planifier des poses de prothèses en analysant les morphologies articulaires de manière automatisée. Ils permettent aussi de simuler les tensions ligamentaires avant même l’ouverture.
En neurochirurgie, des systèmes d’IA croisent imagerie cérébrale et données cliniques pour mieux localiser les foyers épileptogènes et assister la navigation dans les zones fonctionnelles critiques.
Même en urologie, certains hôpitaux français intègrent des outils prédictifs pour anticiper les complications post-chirurgicales, comme les fuites urinaires ou les infections.
Ce que dit la science et les premiers retours terrain
Les données cliniques commencent à confirmer l’apport de ces technologies. À Toulouse, une étude interne a montré que l’usage du robot Epione® permettait une réduction de 30 à 50 % du temps de procédure dans certaines indications tumorales, tout en maintenant une précision inférieure à 1,5 mm. À Paris, les premiers retours de Connected Surgery indiquent une amélioration de la traçabilité des actes et un renforcement du travail collaboratif entre les équipes d’anesthésie et de chirurgie.
Le soutien politique est également au rendez-vous. Le plan France 2030 a fait de la robotique chirurgicale et de l’IA en bloc opératoire un de ses Grands Défis, avec un budget dédié à l’équipement hospitalier, à la recherche appliquée et à la montée en compétence des équipes.
Au-delà du geste : former, tracer, prédire
L’IA ne se limite pas à l’acte opératoire. Elle transforme aussi la manière de se former. Certains établissements comme le CHU de Lille ou le CHU de Strasbourg intègrent déjà des plateformes de simulation qui utilisent des algorithmes pour analyser la gestuelle d’un interne ou pour proposer des corrections en direct. L’analyse automatisée de la vidéo opératoire permet aussi de produire un retour pédagogique personnalisé, en s’appuyant sur des référentiels de bonne pratique.
Autre changement : la documentation opératoire. Grâce aux plateformes augmentées, certains blocs français peuvent aujourd’hui enregistrer, annoter, et stocker les gestes chirurgicaux avec une précision inédite. Cette traçabilité renforcée est utile pour la formation, l’assurance qualité, mais aussi pour le médico-légal.
Enfin, l’IA joue un rôle grandissant dans la prévention des complications. En croisant antécédents, caractéristiques anatomiques et biomarqueurs, des outils prédictifs aident à identifier les patients à haut risque. Cela permet de personnaliser les protocoles de surveillance, de moduler les seuils d’alerte post-opératoires, voire d’anticiper les réinterventions.
Freins à l’adoption : ce qu’il reste à lever
Si les promesses sont là, l’implémentation reste progressive. Plusieurs obstacles freinent encore la généralisation de ces outils. D’abord, le coût des technologies : les robots, les plateformes intelligentes et les systèmes d’analyse nécessitent des investissements conséquents, parfois incompatibles avec les budgets des hôpitaux périphériques.
Ensuite, la gestion des données : pour que l’IA soit pertinente, elle a besoin de volumes importants d’informations cliniques, souvent dispersées entre logiciels, formats ou établissements. L’enjeu de l’interopérabilité et du respect du RGPD reste central.
Enfin, la formation des équipes. L’IA suppose une nouvelle culture de travail : savoir interpréter les suggestions algorithmiques, comprendre leurs limites, les intégrer sans les surévaluer. Cela implique une montée en compétence transversale, du praticien à l’infirmier de bloc, en passant par les équipes biomédicales.
Une transition vers un nouveau standard chirurgical
Le tournant n’est pas spectaculaire, mais il est profond. L’intelligence artificielle s’impose, non comme une mode, mais comme une évolution naturelle de la pratique chirurgicale. Elle ne transforme pas le chirurgien en technicien, elle lui donne de nouveaux leviers pour affiner son art. Mieux voir, mieux anticiper, mieux documenter : voilà les piliers du bloc augmenté.
Les premières structures qui ont intégré ces outils le confirment : les bénéfices sont immédiats pour la qualité des soins, la sécurité du patient, et la dynamique d’équipe. Mais au-delà du gain technique, c’est une nouvelle manière de penser l’acte opératoire qui se profile. Une chirurgie où l’humain reste au centre, mais enrichi par la puissance du calcul.
Les chirurgiens français ne sont plus spectateurs de l’intelligence artificielle. Ils en deviennent les utilisateurs éclairés. Ceux qui s’en emparent aujourd’hui prennent une longueur d’avance : non pour suivre une tendance, mais pour bâtir la prochaine génération de soins chirurgicaux, plus précis, plus sûrs, et plus intelligents.