Intelligence artificielle et soins infirmiers : de la recommandation à la pratique

En septembre 2025, l’Ordre National des Infirmiers (CNOI) a publié ses premières recommandations officielles sur l’usage de l’intelligence artificielle.

Un signal institutionnel fort, qui intervient alors que l’adoption des outils est déjà massive sur le terrain. Le cadre proposé reste cependant très général et peine à répondre aux attentes concrètes des soignants.

Un paradoxe révélateur

Dès mai 2025, une enquête menée par le CNOI auprès des élus titulaires a révélé des tendances claires :

  • 29 % des infirmiers utilisent déjà l’IA, principalement pour la gestion administrative (plannings, dossiers, traitement de données).
  • 70 % de ces utilisateurs considèrent gagner un temps significatif, réinjecté dans le soin direct,
  • 92 % déclarent n’avoir reçu aucune formation spécifique à l’usage de ces outils.

Ce paradoxe est bien connu dans l’innovation en santé : l’adoption précède la régulation. Les professionnels s’approprient des solutions par nécessité opérationnelle, bien avant que des cadres institutionnels ne soient définis.

Les recommandations du CNOI : utiles mais trop générales

La commission « Recherche et nouvelles technologies », créée en début d’année, a formulé cinq recommandations principales :

  • Protéger les données (chiffrement, limitation des usages pour l’entraînement).
  • Informer systématiquement le patient en cas de recours à l’IA
  • Vérifier la conformité scientifique des contenus générés
  • Préserver la relation humaine et prévenir toute déshumanisation.
  • Développer un socle de formation commun (technique, éthique, réglementaire, environnemental).

Ces orientations constituent un socle nécessaire, mais laissent des zones d’ombre :

  • Aucun protocole opérationnel pour recueillir un consentement éclairé en urgence.
  • Aucun outil référencé pour valider la fiabilité scientifique des contenus.
  • Pas de critères objectifs pour mesurer l’impact sur la relation soignant-soigné.
  • Pas de différenciation entre les réalités hospitalières, libérales ou médico-sociales.

Les attentes du terrain

Les infirmiers expriment des besoins beaucoup plus concrets :

  • Être formés massivement à l’usage de l’IA.
  • Disposer de référentiels d’outils validés.
  • Avoir des guides pratiques pour informer les patients.
  • Pouvoir appliquer des protocoles de vérification simples et rapides.

Sans ces ressources, les recommandations risquent de rester lettre morte.

L’hôpital Foch, laboratoire d’innovation

À Suresnes, l’hôpital Foch illustre comment l’IA peut s’intégrer directement dans le quotidien infirmier. Depuis 2025, l’établissement a déployé plusieurs initiatives :

  • Planification intelligente : au bloc opératoire, l’IA génère automatiquement les plannings en prenant en compte absences, contraintes réglementaires et besoins de service. Résultat : jusqu’à 95 % de réduction du temps consacré à la planification manuelle, libérant un temps précieux pour les cadres et améliorant la qualité de vie au travail.
  • Allègement administratif : un chatbot prend en charge les demandes administratives des patients, limitant les sollicitations inutiles pour les soignants.
  • Formation immersive : un centre de simulation de 600 m² propose casques de réalité virtuelle, simulateurs haute-fidélité et mannequins-patients interactifs. Plus de 100 scénarios permettent aux infirmiers de s’entraîner avant d’affronter des situations réelles.
  • Recherche clinique augmentée : le projet CUB Trajectory vise à inclure 10 000 patients atteints de BPCO et d’asthme d’ici fin 2025. Les infirmiers participent à l’évaluation de traitements et à l’optimisation du suivi via des outils IA.
  • Télésurveillance : les soignants accompagnent directement les patients chroniques dans l’usage des applications numériques, renforçant la relation soignant-soigné.
  • Gouvernance éthique : un comité IA multidisciplinaire et un comité de garantie humaine, incluant des soignants, garantissent que chaque expérimentation respecte à la fois les obligations réglementaires et les besoins du terrain.Cette approche systémique positionne Foch comme un modèle : l’IA n’est pas seulement appliquée “aux infirmiers”, mais co-construite avec eux.

De la norme à l’action

Pour que les recommandations du CNOI deviennent réellement utiles, plusieurs leviers sont nécessaires :

  • Prototyper rapidement des protocoles de consentement simplifiés intégrant l’IA.
  • Co-créer des guides pratiques avec infirmiers, experts et patients.
  • Mesurer l’impact avec des indicateurs simples : temps gagné, satisfaction patient, taux d’adoption.
  • Itérer en continu pour ajuster les pratiques aux retours du terrain.

Maîtriser l’adoption

L’IA transforme déjà la pratique infirmière. La question n’est plus « faut-il l’adopter ? » mais comment l’intégrer intelligemment. Deux voies s’ouvrent :

  • Une adoption subie, avec des outils imposés et mal compris.
  • Une adoption maîtrisée, co-construite avec les infirmiers, qui libère du temps de soin et renforce la relation humaine.

L’expérience de Foch démontre qu’une gouvernance ouverte et des projets concrets peuvent transformer les infirmiers en acteurs de l’innovation, et non en simples utilisateurs.

Nicolas Schneider

Nicolas Schneider est expert en transformation digitale et innovation dans le secteur de la santé. Il accompagne les start-ups, établissements de santé et institutions publiques dans la structuration, le déploiement et l’accélération de projets e-santé à impact. Fort de plus de 10 ans d’expérience à l’intersection de la stratégie, du pilotage de projets complexes et de l’innovation numérique, il conjugue vision stratégique, maîtrise du terrain et approche centrée utilisateur/patient pour transformer des idées en résultats concrets.

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