À Forcilles, les soignants enfilent un exosquelette pour sauver leur dos
À l’Hôpital Forcilles, les soignants testent des exosquelettes pour prévenir les TMS et améliorer la qualité du soin.

À l’Hôpital Forcilles, l’innovation s’enfile comme un harnais
À Férolles-Attilly, en Seine-et-Marne, l’Hôpital Forcilles expérimente un outil un peu futuriste mais terriblement concret : l’exosquelette au service des soignants. L’objectif ? Soulager les dos fatigués, prévenir les troubles musculo-squelettiques (TMS) et, par ricochet, améliorer la qualité du soin.
Dans les couloirs du service de rééducation post-réanimation respiratoire, on croise désormais quelques aides-soignantes et kinésithérapeutes équipés de ce dispositif léger fourni par la société Japet. Loin de l’image robotique des films de science-fiction, ces exosquelettes épousent les mouvements naturels du corps. Ils n’agissent pas à la place du professionnel, mais l’accompagnent.
Des métiers physiquement éprouvants
Les gestes du quotidien hospitalier sont exigeants : soulever un patient, maintenir une posture penchée, mobiliser un corps alité… Autant d’actions répétées qui pèsent lourd sur les articulations et les lombaires. Les TMS représentent encore la première cause d’arrêt de travail dans le secteur de la santé.
À Forcilles, la direction a choisi de prendre le problème à la racine : agir en prévention, avant que la douleur ne s’installe. Les exosquelettes viennent soutenir les lombaires lors des manipulations répétitives comme le repositionnement d’un patient assis ou semi-assis tout en laissant la mobilité nécessaire à la relation de soin.
Résultat : les gestes sont plus fluides, moins traumatisants, et le contact humain est préservé. Les équipes gagnent en confort, les patients en dignité, notamment lors des transferts où l’usage d’un lève-malade peut être évité.
Un déploiement par la pratique, ouvert à tous
Le dispositif a d’abord été proposé aux agents souffrant de maux de dos. Mais face à l’engouement et aux retours positifs, l’expérimentation s’est vite étendue à tous les volontaires du service. Aujourd’hui, aides-soignantes et kinésithérapeutes s’en équipent régulièrement.
Les premiers tests, réalisés avec l’appui des ergonomes et de la société Japet, confirment les bénéfices ressentis : une fatigue réduite en fin de journée et moins d’appréhension avant les manipulations lourdes.
L’hôpital envisage déjà d’élargir l’usage à d’autres services : oncologie, gastrologie, diabétologie, ORL. Et même au-delà des soignants : brancardiers, agents techniques, magasiniers, tous ceux dont le quotidien implique des ports de charge répétés pourraient en tirer profit.
“Ça aide sans faire à notre place” : la parole aux équipes
Les retours du terrain sont parlants.
« Au début, on ne se sent pas forcément à l’aise. Mais rapidement, on comprend à quel point cela peut nous être utile. Cela nous aide sans faire à notre place », confie une aide-soignante du service respiratoire.
« Avant, je rentrais chez moi avec le dos en feu. Aujourd’hui, je termine mon service moins fatiguée et surtout sans appréhension pour le lendemain. »
Même du côté des patients, le regard change :
« J’étais impressionné au départ, notamment par le bruit, mais je me suis vite senti en confiance. Mon aide-soignante était plus à l’aise dans ses gestes. Ça change tout. J’ai gardé le contact humain, sans avoir l’impression d’être manipulé par une machine. »
Ces témoignages rappellent que la technologie ne remplace pas le lien humain — elle peut au contraire le préserver, à condition d’être bien pensée.
Une innovation au service de l’humain
Pour Sandrine Marlière, directrice de l’Hôpital Forcilles, le message est clair :
« L’innovation n’a de sens que si elle est mise au service de l’humain. Avec ces exosquelettes, nous investissons dans la santé de nos soignants. Prendre soin de ceux qui soignent, c’est aussi garantir une meilleure qualité de prise en charge pour nos patients. »
Cette approche rejoint une conviction partagée par de nombreux établissements : la prévention des TMS est aussi une politique de qualité des soins. Un professionnel épanoui, protégé et moins douloureux est plus disponible pour le patient.
Une politique de prévention à long terme
À Forcilles, le projet exosquelette s’inscrit dans une démarche globale de santé au travail et d’inclusion. Trois axes structurent la stratégie :
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Recruter et inclure des travailleurs en situation de handicap grâce à un matériel innovant (avec une priorité donnée aux salariés bénéficiant d’une RQTH).
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Maintenir dans l’emploi les professionnels, avec ou sans RQTH, exposés à des postes physiquement exigeants.
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Renforcer la politique Handicap & RSE, en reliant qualité des soins et prévention de l’inaptitude liée aux TMS.
L’enjeu n’est donc pas seulement ergonomique, mais aussi social et humain : éviter la reconversion contrainte, maintenir les compétences au sein de l’équipe et valoriser la qualité de vie au travail.
Un investissement ciblé et porteur d’avenir
Le déploiement a été rendu possible grâce à deux appels à projets remportés en 2023 auprès de l’OETH (Objectif Emploi des Travailleurs Handicapés) et de l’ARS Île-de-France, représentant un financement total de 32 000 euros.
Ces moyens permettront non seulement de maintenir les exosquelettes en service, mais aussi d’élargir la dotation à d’autres outils complémentaires : disques de transfert, verticalisateurs et lève-malades électriques. L’idée reste la même : préserver la santé des soignants pour mieux prendre soin des patients.
Un modèle à suivre ?
L’Hôpital Forcilles n’est pas un centre universitaire, mais son pragmatisme en matière d’innovation mérite d’être souligné. Ici, pas de vitrine technologique ni de prototype d’exposition : les exosquelettes sont déjà utilisés au quotidien, testés, ajustés, adoptés.
Leur succès repose sur une réalité simple : ils répondent à un besoin concret du terrain. Et c’est souvent là que se joue la vraie transformation du soin.
La technologie comme prolongement du geste humain
À Forcilles, l’innovation ne se vit pas dans les laboratoires, mais au chevet des patients. L’exosquelette ne remplace pas la main du soignant, il l’accompagne. Et c’est peut-être là sa plus grande force.
Ce projet s’inscrit dans une logique de bon sens : préserver le corps de ceux qui soignent pour prolonger leur engagement et maintenir la qualité du lien avec le patient. Une technologie simple, au service du confort, de la prévention et du respect du geste.
À l’heure où les TMS et la fatigue professionnelle fragilisent les vocations, le pari de Forcilles montre qu’il existe des solutions concrètes — et surtout, une volonté : celle de remettre la santé des soignants au cœur du soin.