Pourquoi la prévention numérique reste-t-elle si marginale dans les soins ?

Des outils existent pour éviter des hospitalisations, détecter des complications à distance, voire sauver des vies. Et pourtant, la prévention numérique reste en marge du système de santé.

Pourquoi cette technologie, déjà validée, est-elle si peu utilisée dans les parcours de soins ? Médecins, directeurs d’hôpitaux, industriels : il est temps d’identifier les freins et d’activer les bons leviers.

Une adoption massive côté patients, une intégration encore timide côté soins

Quatre Français sur cinq ont déjà eu recours à un service de santé numérique. Les téléconsultations atteignent plus de 14 millions d’actes en 2024, les applications de prévention se multiplient (FindRisk Péi pour le diabète, Keep A Breast pour le cancer du sein), et les wearables font leur entrée en entreprise.

Mais sur le terrain, la prévention reste marginale dans les soins. Le modèle dominant reste curatif. Exemple frappant : la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque, entrée dans le droit commun en 2024, n’a bénéficié qu’à 26 000 patients fin 2024. Pourtant, l’étude TELE-SAT, menée par Satelia, montre une réduction de 61 % des réhospitalisations et une baisse de 36 % de la mortalité.

Les preuves sont là. Mais l’écosystème peine à les transformer en pratiques systématiques.

Obstacles persistants : fracture numérique, surcharge, et manque d’incitations

Le premier frein est structurel : l’inégalité d’accès. Beaucoup de patients n’ont ni smartphone, ni connexion fluide. Résultat : un tiers des patients suivis par télésurveillance sont en réalité contactés par téléphone. Le coût des objets connectés, la difficulté d’usage ou encore le manque de soutien à la prise en main freinent la démocratisation.

Le deuxième obstacle est organisationnel. Du côté des soignants, les alertes mal hiérarchisées, les outils non interopérables avec les DMP et les doubles saisies génèrent une surcharge. Certains professionnels pointent un effet contre-productif : surdiagnostic, anxiété injustifiée, voire sentiment de perte de sens.

Enfin, le cadre économique reste inadapté. Peu de dispositifs de prévention sont remboursés, hors télésurveillance. Les éditeurs doivent passer par des appels à projets ponctuels, sans garantie de pérennité. Le dispositif PECAN (prise en charge anticipée numérique) est encore peu utilisé, malgré des forfaits pouvant aller jusqu’à 780 €/an/patient.

Trois leviers pour passer à une vraie politique de prévention numérique

1. Intégrer la prévention numérique dans les parcours de soins

Aujourd’hui, ces dispositifs sont encore perçus comme accessoires. Il faut les intégrer dès la prescription, notamment pour les maladies chroniques (insuffisance cardiaque, BPCO, diabète). La HAS doit valider des modules spécifiques, articulés autour d’une coordination ville-hôpital, associant médecins, paramédicaux, structures médico-sociales et aidants.

Objectif : passer d’un usage isolé à une approche structurée, soutenue par des résultats cliniques, pas seulement par des indicateurs d’usage.

2. Renforcer l’interopérabilité et la souveraineté des données

Les outils sont là, mais ne communiquent pas toujours entre eux. Il faut accélérer l’adoption de Mon Espace Santé, généraliser l’usage de MSSanté, et créer des passerelles fluides avec les logiciels métier. Côté hébergement, la souveraineté est essentielle : les clouds de santé doivent être certifiés SecNumCloud pour garantir la sécurité des données sensibles.

Une prévention numérique efficace repose sur des algorithmes fiables, alimentés par des données solides, sécurisées et disponibles au bon moment.

3. Créer un vrai modèle économique incitatif

Il est temps de sortir de la logique expérimentale. Un « forfait prévention numérique » pourrait être mis en place, avec remboursement partiel dès l’achat d’un objet connecté validé (capteur, wearable, balance, etc.). La nomenclature doit aussi évoluer pour inclure des actes spécifiques : alertes comportementales, éducation thérapeutique dématérialisée, suivi d’auto-mesures.

Enfin, les CPOM (contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens) doivent intégrer un système de bonus-malus selon les résultats en santé publique, notamment les hospitalisations évitables.

Confiance, transparence et impact : les conditions du succès

Les projets innovants comme MASSAI à Besançon montrent que la prévention numérique peut s’ancrer dans le réel, à condition d’associer les patients et les soignants dès le départ. Le CESE comme le think tank CRAPS rappellent l’importance d’une politique publique lisible, équitable, fondée sur des données évaluées de manière transparente.

La feuille de route 2025-2030 du gouvernement prévoit une évaluation médico-économique nationale sur la télésurveillance avec 100 000 patients suivis. Une étape décisive pour transformer l’exception en norme.

Une prévention numérique qui mérite mieux que la marge

Les outils sont prêts. Les preuves d’impact existent. Les patients sont demandeurs. Mais tant que la prévention numérique restera en dehors des référentiels de soins, mal financée et faiblement interopérable, elle ne passera pas à l’échelle.

Faire de la prévention numérique un pilier du système de santé suppose de reconnaître sa valeur, de structurer son usage et de mettre en place une gouvernance centrée sur les résultats. Sinon, elle continuera à vivre en périphérie, alors même qu’elle pourrait sauver des vies.

Clémence Minota

Je suis rédactrice spécialisée en santé et innovation, passionnée par l'impact des technologies sur l'évolution des soins médicaux. Mon expertise consiste à décrypter les dernières avancées du secteur et à fournir des contenus clairs et pertinents pour les professionnels de santé.

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