Santé numérique : les infirmiers formés dès l’IFSI
La formation numérique infirmiers devient obligatoire dans tous les IFSI depuis septembre 2024. Une décision discrète mais stratégique : elle vise à former 100 % des futurs soignants au numérique d’ici 2027, alors qu’ils n’étaient que 0,1 % en 2022. Ce virage éducatif redéfinit le métier infirmier : il ne s’agit plus seulement de maîtriser les soins, mais aussi les outils numériques du parcours patient.

Ils sont environ 130 000 étudiants à débuter chaque année une formation en santé, dont une majorité en soins infirmiers. Depuis septembre 2024, tous ces futurs soignants bénéficient d’un nouveau socle obligatoire : 28 heures de formation au numérique intégrées dans le cursus des IFSI, selon les directives de l’arrêté du 19 juillet 2023, modifiant les référentiels de formation paramédicale.
Objectif du gouvernement : former 100 % des professionnels de santé au numérique d’ici 2027, contre seulement 0,1 % en 2022. Ce virage éducatif est loin d’être anecdotique : il signe l’entrée du numérique comme compétence socle du métier infirmier, au même titre que la pharmacologie ou la relation de soin.
Un socle commun, cinq domaines stratégiques
Le module de 28 heures s’articule autour de cinq thématiques prioritaires :
- Données de santé
- Cybersécurité
- Communication numérique
- Outils numériques professionnels
- Télésanté
Ce contenu a été défini par le comité d’entente des formations infirmières et cadres, en lien avec l’ANS. Pour Arnaud Barras, vice-président du Cefiec, « Notre responsabilité, comme pédagogues de la santé, c’est d’apprendre aux étudiants à utiliser les outils numériques dans leur quotidien de soin, mais c’est aussi une culture qu’il faut enseigner ».
Le numérique devient ainsi un fil rouge pédagogique, censé irriguer aussi bien les enseignements théoriques que les stages cliniques. Bruno Perricaudet, cadre formateur à l’IFSI de Chalon-sur-Saône, confirme : « Il y aura aussi des apports au niveau éthique, par exemple sur ce qu’est l’intelligence artificielle et ses possibles applications dans le soin ».
Accélération par l’innovation : un Diplôme Universitaire à Montpellier
En parallèle de l’IFSI, les universités innovent. À Montpellier, un DU “Formateur en santé numérique” a vu le jour en 2024, avec déjà 110 inscrits, dont 80 % issus du réseau IFSI. Ce DU s’inscrit dans le programme “Compétences et Métiers d’Avenir”, lancé dans le cadre de France 2030, qui a permis de soutenir 24 projets de transformation pédagogique pour intégrer le numérique dans la formation en santé.
Ces expérimentations pilotes s’appuient sur des unités d’enseignement testées dans 10 instituts, avec un suivi qualitatif auprès des formateurs et des étudiants. L’ambition : créer un modèle duplicable à l’échelle nationale.
Une transition encore incomplète sur le terrain
Malgré ces avancées, la formation en santé numérique reste confrontée à un décalage avec les pratiques terrain. De nombreux étudiants rapportent un manque d’intégration concrète des outils numériques dans les stages ou les simulations cliniques. Certains IFSI peinent à mettre en œuvre les contenus faute de matériel ou de temps, tandis que les logiciels métiers restent souvent absents des salles de travaux pratiques.
Côté professionnels en exercice, notamment les 98 600 infirmières libérales en France, la problématique est différente : l’absence d’obligation de formation continue au numérique freine la montée en compétence. Les outils numériques (télésoin, messageries sécurisées, logiciels de coordination) restent peu utilisés, alors qu’ils sont appelés à devenir le socle de la médecine de parcours.
Un virage culturel, pas seulement technique
Le véritable défi est culturel. La formation numérique ne doit pas devenir un “module à part”, déconnecté du soin réel. « Il faut que le numérique soit enseigné au cœur des situations de soin, pas comme un objet théorique », avertissent plusieurs formateurs interrogés dans l’enquête de terrain du Cefiec (2024). Cela suppose un réoutillage pédagogique, une formation des formateurs, et une implication forte des terrains de stage.
Ce virage est aussi stratégique pour les établissements de santé : un professionnel formé au numérique, c’est un soignant plus autonome, plus efficace, et capable d’interagir avec les outils de coordination territoriale (DMP, eCPS, SIH, etc.).
Ce qu’il faut anticiper pour 2025-2027
- Les premières cohortes d’étudiants ayant reçu ces 28 heures obligatoires seront diplômées entre 2026 et 2027.
- Une montée en compétence plus large est attendue via les formations continues cofinancées par France 2030 et l’ANFH (pour le secteur public hospitalier).
- La stratégie nationale pour le numérique en santé prévoit aussi des référentiels de compétences numériques transversaux, en lien avec l’Espace Numérique de Santé (ENS) et Mon Espace Santé.
Former au numérique n’est plus une option marginale : c’est désormais une colonne vertébrale du métier infirmier. En imposant 28 heures dès l’IFSI, l’État ne fait pas que transmettre des outils — il redéfinit les contours mêmes de la pratique soignante.
Mais entre ambition nationale et réalité terrain, une question demeure : cette formation changera-t-elle vraiment les gestes, les réflexes, la posture des soignants face au numérique ? Tout dépendra de l’engagement des établissements, de la capacité des formateurs à ancrer ces savoirs dans le soin réel, et des retours terrain sur les premières cohortes diplômées.
Cette réforme de la formation numérique des infirmiers s’inscrit dans une refonte plus large de la pratique soignante.