Télésurveillance médicale : décryptage des enjeux français face au succès allemand

Deux ans après son entrée dans le droit commun, la télésurveillance médicale française peine à convaincre. Moins de 1,5% des patients éligibles bénéficient effectivement d'un dispositif fin 2024, un taux qui interroge sur l'efficacité du modèle français.

Cette situation contraste fortement avec les performances allemandes : 300 000 prescriptions pour 56 applications remboursées et un budget qui atteint 80 millions d’euros en 2024, multiplié par sept depuis 2021.

Cette différence d’adoption révèle des défis structurels qui dépassent les simples considérations techniques. Pour l’industrie des technologies médicales, comprendre ces enjeux devient crucial pour adapter les stratégies de développement et d’accès au marché.

Le cadre français : rigueur et complexité

Un périmètre défini mais restrictif

La France a structuré son approche autour de six pathologies spécifiques : insuffisance cardiaque, rénale, respiratoire, diabète, prothèses cardiaques implantables et oncologie. Cette sélection, issue de l’expérimentation ETAPES (2018-2023), garantit une base scientifique solide mais limite mécaniquement le potentiel de marché.

Le modèle économique repose sur une double rémunération. Les exploitants perçoivent entre 43,45€ et 91,67€ mensuels selon la pathologie, tandis que les opérateurs médicaux bénéficient de forfaits de 11€ à 70€ par mois. Ces montants, complétés par des majorations pour les cas complexes, offrent théoriquement un équilibre économique viable.

Des critères d’accès complexifiés

La réalité opérationnelle révèle cependant des obstacles significatifs. Les critères d’éligibilité aux forfaits majorés sont particulièrement exigeants : pour l’insuffisance cardiaque, le niveau 2 majoré (70€) nécessite des combinaisons précises d’âge, de comorbidités et de situations cliniques spécifiques. Cette granularité administrative, si elle garantit une utilisation ciblée des ressources, complique l’accès pour les professionnels de santé.

L’exemple d’Air Liquide, qui s’est retiré du marché français, illustre les difficultés rencontrées par les industriels face à cette complexité administrative. Le SNITEM alerte d’ailleurs sur des “critères d’évaluation dépassés, conçus pour la médecine d’hier”, pointant l’inadéquation entre les méthodologies traditionnelles et les spécificités des dispositifs médicaux numériques.

L’approche allemande : pragmatisme et résultats

Une procédure d’accès simplifiée

L’Allemagne a fait le choix d’une approche “fast-track” avec son programme DiGA (Digital Health Applications). Le BfArM dispose de trois mois maximum pour évaluer une application, avec possibilité d’inscription provisoire pendant douze mois. Cette flexibilité permet aux 73 millions d’assurés allemands d’accéder rapidement aux innovations tout en maintenant un cadre sécurisé.

Le spectre pathologique allemand s’avère plus large : 53% des DiGA concernent les maladies psychiques, 11% les troubles du système nerveux et 11% les pathologies musculo-squelettiques. Cette ouverture contraste avec l’approche française centrée sur les pathologies chroniques lourdes.

Des indicateurs de croissance encourageants

Les résultats allemands démontrent une dynamique réelle d’adoption. La progression des prescriptions s’accélère, dépassant les 300 000 en 2024. Cette croissance s’accompagne d’un écosystème de formation, notamment avec des cours dédiés aux DiGA dans les universités allemandes.

Toutefois, le modèle allemand n’échappe pas aux défis : seulement 30% des Allemands connaissent les DiGA, et 20% des prescriptions n’aboutissent pas à un code d’activation. Ces difficultés, bien que réelles, n’entravent pas la progression globale du secteur.

Défis communs et spécificités nationales

L’enjeu de l’accompagnement professionnel

Dans les deux pays, l’appropriation par les professionnels de santé reste un défi majeur. En France, la gestion des données et des alertes génère une charge supplémentaire difficile à absorber dans un contexte de déserts médicaux croissants. L’Allemagne répond partiellement à cette problématique par des formations spécialisées et une simplification des procédures.

La question de l’évaluation

Le programme PECAN français illustre les tensions autour des méthodologies d’évaluation : sur dix dossiers déposés depuis 2023, seuls trois ont reçu un avis favorable, tous concernant la télésurveillance. Cette sélectivité, si elle garantit la qualité, peut décourager l’innovation.

Le Collectif Télésurveillance Médicale préconise le développement de “méthodologies hybrides, mêlant données de vie réelle, retours d’usage et indicateurs de performance populationnelle”. Cette approche reconnaîtrait l’impact organisationnel des dispositifs numériques, au-delà des seuls critères biomédicaux classiques.

Pistes d’amélioration pour le marché français

Assouplir sans compromettre la qualité

L’expérience allemande suggère qu’une prise en charge provisoire pourrait faciliter l’accès des patients aux innovations tout en collectant les données nécessaires à l’évaluation définitive. Cette approche, déjà amorcée avec PECAN, mériterait d’être élargie.

La simplification des critères d’éligibilité aux forfaits majorés constitue également un levier d’amélioration. Une approche plus pragmatique pourrait maintenir la rigueur médicale tout en réduisant la charge administrative.

Renforcer l’écosystème de soutien

L’accompagnement des professionnels de santé représente un investissement stratégique. L’intégration de modules dédiés dans la formation médicale continue et initiale pourrait accélérer l’adoption, à l’image des initiatives universitaires allemandes.

Les “délégués numériques en santé” déployés pour accompagner les professionnels libéraux constituent une base prometteuse qui pourrait être spécifiquement orientée vers la télésurveillance.

Perspectives européennes et échéances clés

L’accord franco-allemand signé en juin 2025 pour renforcer la coopération sur l’évaluation des dispositifs médicaux numériques ouvre des perspectives d’harmonisation encourageantes. Cette collaboration pourrait faciliter la reconnaissance mutuelle des évaluations et accélérer l’accès au marché.

La révision des lignes génériques de télésurveillance prévue en 2026 par la CNEDiMTS constituera un test déterminant. Cette échéance offre l’opportunité d’intégrer les retours d’expérience et d’adapter le cadre français aux réalités du terrain.

Vers un modèle français optimisé

La comparaison franco-allemande révèle que le succès de la télésurveillance repose autant sur la qualité du cadre réglementaire que sur sa capacité d’adaptation. Avec plusieurs millions de patients chroniques potentiels, l’enjeu dépasse la question technique pour toucher à l’organisation des soins.

La France dispose d’atouts considérables : excellence médicale reconnue, innovation technologique de pointe, système de protection sociale performant. L’enjeu consiste désormais à concilier rigueur scientifique et pragmatisme opérationnel, en s’inspirant des bonnes pratiques européennes tout en préservant les spécificités du système de santé français.

Pour l’industrie des technologies médicales, cette période de transition représente une opportunité stratégique. Les entreprises qui sauront naviguer dans ce contexte évolutif, en anticipant les assouplissements réglementaires et en développant des solutions adaptées aux besoins des professionnels, seront les mieux positionnées pour capitaliser sur le potentiel considérable de la télésurveillance médicale française.

Nicolas Schneider

Nicolas Schneider est expert en transformation digitale et innovation dans le secteur de la santé. Il accompagne les start-ups, établissements de santé et institutions publiques dans la structuration, le déploiement et l’accélération de projets e-santé à impact. Fort de plus de 10 ans d’expérience à l’intersection de la stratégie, du pilotage de projets complexes et de l’innovation numérique, il conjugue vision stratégique, maîtrise du terrain et approche centrée utilisateur/patient pour transformer des idées en résultats concrets.

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