Déserts médicaux et identités LGBTQ+ : Santé pour tous, vraiment ?

On le répète souvent, les déserts médicaux sont une problématique majeure en France. Près d’un tiers de la population française vit dans des zones sous-dotées, notamment en milieu rural et péri-urbaines. Ainsi, 11 % de personnes en France n’ont pas de médecin traitant.

Aujourd’hui, je souhaite mettre en lumière les inégalités d’accès aux soins vécues par les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer ou appartenant à d’autres minorités de genre et de sexualité (LGBTQ+). Parce que, nous ne sommes pas tous égaux face à la prise en charge médicale.

Un rapport de Santé Publique France, « Ampleur et impact sur la santé des discriminations et violences vécues par les personnes LGBT en France », révèle que 35 % des personnes LGBT déclarent avoir été discriminées dans un contexte médical ou paramédical au cours de leur vie. Pour les personnes trans, le taux monte à 48 %. De plus, 9 % des LGBT déclarent avoir été refusés de soins médicaux. Enfin, 32 % disent avoir évité de consulter un professionnel de santé par peur d’être discriminées.

Alors, comment garantir l’accès équitable à la santé quand « territoire » et « identité » se conjuguent pour marginaliser ? Peut-on parler d’égalité de soin pour tous si des minorités sont doublement exclues du système de soins ?

Les déserts médicaux sont bien plus qu’une pénurie de médecins. Les inégalités d’accès aux soins interrogent non seulement notre système de santé, mais aussi notre conscience collective : équité, engagement, humanité.

Accès aux soins : un double défi pour les LGBTQ+

Dans les zones de désert médical, notamment dans les campagnes, la situation est préoccupante. 63 % des bassins de vie ruraux sont en manque de médecins généralistes. La pénurie de professionnels de santé provoque des délais de consultation de plus en plus long : un rendez-vous chez un généraliste varie de 2 à 7 jours, contre jusqu’à plus d’un mois pour les spécialistes. Les chiffres peuvent doubler, voire tripler selon les territoires.

Les patients LGBTQ+ sont à la fois confrontés à ces difficiles structurelles et à des discriminations. En 2021, 16 % des personnes LGBTI rapportaient une discrimination dans les soins. Ce chiffre atteint 34 % parmi les personnes transgenres. En outre, 46 % des personnes LGBT n’ont jamais révélé leur identité aux professionnels par crainte de jugement. (source : coe.int.fr)

Au-delà de l’absence de praticiens, c’est la qualité de l’accueil et des soins dans les structures de santé qui questionne. Le sentiment d’inégalité est d’autant plus fort dans les zones rurales et pour les personnes transgenres, où la méconnaissance de leur différence amplifie souvent la stigmatisation.

Les patients LGBTQ+ subissent des discriminations dans leur parcours de soins : jugements de la part des professionnels de santé, manque d’écoute, ou incompétence face aux enjeux spécifiques liés à l’identité de genre ou à l’orientation sexuelle.

Des obstacles cumulés en milieu rural

En milieu rural, l’isolement géographique complique considérablement l’accès aux soins. Pour ces patients, l’isolement est souvent renforcé. En effet, vivre à plusieurs heures de route d’un praticien ou d’un centre de santé accueillant et compétent devient un véritable obstacle. C’est encore plus vrai pour les patients qui ont besoin d’un suivi spécialisé : endocrinologie, traitements hormonaux, accompagnement psychologique, etc.

Quel espoir reste-t-il pour une personne en transition si l’endocrinologue le plus proche est à 200 km ?

Ce public est aussi trop souvent oublié des campagnes de prévention, et les premiers à pâtir des pénuries de professionnels. Trouver un soignant respectueux, informé et à l’écoute devient alors un parcours du combattant.

Dans de nombreux cas, les structures de santé locales ne disposent ni du personnel formé ni des moyens pour accompagner les problématiques liées à la santé sexuelle, à la transition de genre ou aux besoins spécifiques de ces patients.

Enfin, le manque de médecins spécialisés dans certaines régions ne fait qu’aggraver ces inégalités.

Et la santé mentale dans tout ça ?

Car oui, il ne s’agit pas uniquement du corps. La tête souffre aussi ! La précarité psychologique est une réalité pour de nombreuses personnes LGBTQ+. Et cela d’autant plus pour ceux vivant dans des zones isolées.

En zone rurale, l’accès à des psychologues ou psychiatres sensibilisés aux questions LGBTQ+ est quasi inexistant. Pourtant, les besoins sont forts. Selon Santé publique France, la dépression et les pensées suicidaires sont deux à trois fois plus fréquentes chez les jeunes LGBTQ+ que chez leurs pairs hétérosexuels et cisgenres. Dans certains territoires aucun professionnel formé n’est accessible sans faire plusieurs heures de route.

Alors que faire ? Se taire ? Se résigner ? Ou fuir vers les grandes villes, comme le font tant de jeunes LGBTQ+ en quête de soins, de sécurité et de reconnaissance ?

Discriminations et stigmatisation : un frein durable à la consultation

Contrairement aux grandes villes où existent des réseaux de soutien et des professionnels informés, les mentalités rurales peuvent se montrer plus fermées à la diversité. Cela complique alors le lien de confiance entre patients et soignants.

Les patients qui n’ont pas fait leur coming-out ou en cours de transition redoutent le regard des professionnels de santé. La crainte d’être jugées, incomprises ou rejetées les pousse parfois à renoncer à consulter, même en cas d’urgence.

Certain·es rapportent des expériences de rejet : attitudes condescendantes, propos déplacés, voire refus de soins, en particulier lors de demandes de traitements hormonaux ou de suivis liés à la transition. Les interrogations intrusives sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou la vie intime ne sont pas rares et traduisent un manque d’empathie et de formation.

Ainsi, beaucoup préfèrent taire une partie de leur histoire ou de leur identité pour éviter le jugement. Malheureusement, cela peut fausser le diagnostic et retarder la prise en charge. Chez les personnes transgenres et intersexes, ce malaise persistant peut conduire à une interruption des soins.

Peut-on se soigner correctement lorsqu’on doit se taire sur ce que l’on est ?

Dans des territoires où les mentalités sont parfois plus conservatrices, la solitude, le manque de soutien familial ou communautaire et la peur du rejet aggravent le sentiment de précarité et nuisent directement à la santé.

Sensibilisons les professionnels de santé à la diversité

En France, la formation des professionnels de santé aux enjeux spécifiques des patients LGBTQ+ reste marginale. D’après SOS Homophobie, seuls 10 % des médecins généralistes déclarent avoir été formé sur les thématiques LGBTQ+. Dans les grandes villes, des centres spécialisés et des formations continues existent, mais en milieu rural, ces outils sont rares, voire inexistants.

Allons vers une médecine réellement inclusive ?

Reconnaître la double peine « déserts médicaux » et « exclusion identitaire » serait un premier pas pour les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer ou appartenant à d’autres minorités de genre et de sexualité. Toutefois, agir concrètement pour enfin gommer les inégalités de traitement serait aussi une nécessité.

  • Intégrer systématiquement les questions LGBTQ+ dans les formations médicales et paramédicales ;
  • Créer des référent·es santé LGBTQ+ dans les zones rurales ;
  • Favoriser l’installation de praticiens sensibilisés dans les déserts médicaux ;
  • Déployer des actions de prévention adaptées à tous les publics, partout.

Les déserts médicaux ne sont pas neutres. On le voit, ils creusent les inégalités existantes. Les difficultés d’accès soins fragilisent en premier les plus vulnérables. La situation des personnes LGBTQ+ dans les déserts médicaux révèle une réalité plus vaste et inconfortable. Notre système de santé n’est pas toujours à la hauteur de sa promesse d’universalité.

Les inégalités ne s’arrêtent pas aux territoires. Les discriminations sont aussi des inégalités.

Les discriminations ne concernent pas uniquement l’identité de genre ou à l’orientation sexuelle. D’autres minorités rencontrent aussi des obstacles dans leur parcours de soins : personnes en situation de handicap visible ou invisible, personnes âgées ou en fin de vie, sans domicile fixe, racisées, neuroatypiques ou vivant avec des troubles psychiques…

L’origine, l’identité, le lieu de vie ou la condition physique ne devraient pas déterminer la façon dont on est soigné.

Pascale Karila-Cohen

Dr Pascale Karila-Cohen, radiologue hospitalière, entrepreneuse engagée, fondatrice de docndoc.fr. Collectifs de professionnels de santé luttant contre les déserts médicaux depuis 2016.

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