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Nouvelles formes d’exercice : ce que veulent vraiment les médecins

L’exercice médical flexible s’impose comme une réponse concrète à la crise d’attractivité. Ce n’est pas le soin que les médecins remettent en cause, mais l’organisation figée qui l’entoure. Entre cumul de statuts, postes partagés et liberté de choix, une nouvelle génération redessine les contours du métier.

Exercer autrement, c’est encore soigner

Ils ne rejettent pas la médecine. Ils rejettent un système rigide. Horaires figés, trajets sans fin entre sites, charge administrative non clinique : ce n’est pas tant la quantité de travail qui épuise les médecins, mais l’absence de choix sur leur manière d’exercer.

Depuis quelques années, une tendance se confirme : les jeunes médecins veulent construire leur propre équilibre, quitte à s’affranchir des formats traditionnels. Et cette mutation touche tous les terrains : hôpitaux, cabinets libéraux, centres de santé ou plateformes numériques.

Comprendre cette évolution, c’est anticiper les leviers d’attractivité médicale à venir — et retrouver du sens dans l’exercice, côté soignant comme côté organisation.

En finir avec le modèle unique d’exercice

En 2024, moins de 55 % des médecins généralistes travaillent à temps plein selon les données de la Drees. Et chez les moins de 35 ans, plus de 40 % cumulent plusieurs statuts : salariat en centre de santé, consultations libérales, téléconsultation sur plateformes, missions ponctuelles ou recherche. Une forme de pluralité revendiquée.

“Je ne veux pas m’enfermer dans un schéma unique. J’ai besoin d’un cadre souple pour continuer à aimer ce que je fais”, témoigne Aurore C., médecin généraliste en région Centre-Val de Loire, qui partage son temps entre maison de santé, consultations à distance, et projets en santé publique.

Le constat est partagé sur le terrain : ce ne sont pas les missions qui manquent, ce sont les modalités compatibles avec la vie réelle. Les directions hospitalières et collectivités l’ont compris. Plusieurs expérimentent des formats hybrides, avec des résultats déjà tangibles.

Trois modèles émergents, sur le terrain

1. Poste partagé ville-hôpital

Dans les Pyrénées-Atlantiques, le Centre Hospitalier de Pau et le Centre Gérontologique de Nay-Jurançon ont mis en place un dispositif d’exercice partagé pour les médecins généralistes et gériatres. Ce modèle permet aux praticiens de répartir leur temps entre l’hôpital (CH de Mauléon) et une activité libérale en ville, favorisant ainsi une prise en charge continue des patients tout en diversifiant les expériences professionnelles des médecins.

Ce type d’organisation répond à une double problématique : le besoin de renforcer l’attractivité des postes hospitaliers et la volonté des jeunes médecins de bénéficier d’une plus grande flexibilité dans leur exercice. Selon l’ARS Nouvelle-Aquitaine, ces postes à temps partagé visent à soutenir les projets professionnels des jeunes praticiens, à renforcer l’attractivité de l’exercice ambulatoire dans les zones sous-denses et à améliorer le lien entre la ville et l’hôpital

2. Téléconsultation intégrée

En Occitanie, la plateforme régionale de télémédecine TéléO facilite la mise en œuvre de téléconsultations, téléexpertises et transferts d’imagerie. Elle permet aux professionnels de santé de ville et hospitaliers de réaliser des actes de télémédecine dans un cadre sécurisé et structuré.

Certaines maisons de santé de la région ont aménagé des espaces dédiés au télésoin, mutualisés entre praticiens. Ces installations permettent aux médecins de proposer des consultations à distance tout en maintenant un ancrage local et en évitant l’isolement professionnel souvent associé à la téléconsultation exclusive.

La Haute Autorité de Santé recommande que les téléconsultations soient réalisées par vidéotransmission, dans des conditions garantissant la qualité et la sécurité des actes.

3. Cumul statutaire simplifié : vers une gestion administrative allégée

Des plateformes telles que Medelse offrent aux professionnels de santé la possibilité de gérer facilement des missions en CDD ou en vacation libérale. L’application mobile permet aux praticiens de choisir leurs missions, d’organiser leur emploi du temps, de signer leurs contrats et d’accéder à leurs factures en quelques clics.

Ce modèle répond à une demande croissante de flexibilité de la part des médecins, tout en assurant une gestion administrative simplifiée. Il est important de noter que le cumul d’activités est encadré par des dispositions réglementaires spécifiques. Selon la MACSF, les praticiens hospitaliers titulaires peuvent, sous certaines conditions, cumuler leur activité hospitalière avec une activité libérale statutaire, une activité accessoire ou une activité d’intérêt général.

Ce que la rigidité coûte vraiment

Pour les structures de soins, l’absence de flexibilité devient un facteur de rupture. Le recrutement s’enlise, les postes vacants s’accumulent, les équipes s’épuisent. Et les praticiens partent… ou ne viennent jamais.

La Drees estime que le taux de vacance des postes hospitaliers atteint 30 % dans certaines disciplines, notamment la pédiatrie, l’anesthésie, ou la psychiatrie. Or, beaucoup de praticiens interrogés ne demandent pas plus d’argent : ils demandent un cadre d’exercice négociable, compatible avec leur parcours, leurs contraintes ou leurs projets.

Du statut figé à une modularité pensée comme stratégie

Les jeunes générations de médecins n’ont jamais rejeté l’effort. Mais elles contestent désormais l’équation historique entre vocation et sacrifice total. Le culte de la disponibilité permanente, longtemps valorisé dans les carrières médicales, entre de plus en plus en contradiction avec les aspirations contemporaines : équilibre personnel, autonomie dans les choix, et alignement entre pratiques et valeurs.

Cette évolution dépasse le champ médical. Dans le secteur public, la haute fonction publique explore depuis 2023 des formats de « carrière à la carte », avec des mobilités transversales, des temps partiels choisis et des passerelles entre administrations. La recherche académique elle-même, longtemps marquée par la compétition et l’instabilité, voit émerger des modèles plus flexibles intégrant la parentalité, les mobilités internationales, ou les temps de pause professionnelle.

Dans la santé, ce tournant reste timide — mais il devient inévitable. La rigidité statutaire, pensée pour garantir la continuité du service public, devient contre-productive lorsqu’elle produit du turnover, de la démotivation, ou une fuite vers des pratiques alternatives (téléconsultation privée, missions à l’étranger, médecine non clinique).

Plus de liberté, mieux encadrée : un levier de qualité

Redonner du pouvoir de choix aux médecins ne signifie pas déstructurer le système. Cela signifie, au contraire, le consolider de manière plus intelligente. La liberté d’exercice — dans le cadre d’un contrat clair, d’outils partagés, et d’une gouvernance adaptée — devient un levier d’efficience clinique autant qu’un facteur d’attractivité.

Les exemples sont là : des hôpitaux qui co-construisent les plannings médicaux avec les praticiens, des collectivités qui proposent des bourses d’installation avec clauses modulables, des groupes privés qui expérimentent des « postes à mission » ou des temps partagés sur plusieurs sites.

Ce sont ces marges de manœuvre, concertées et assumées, qui permettent aux structures de ne plus subir le départ des talents. Un médecin écouté est plus stable, plus engagé, et plus serein dans la durée. Et cela rejaillit sur tout : qualité de la relation, sécurité des soins, dynamique d’équipe.

Le soin commence aussi par là : dans la capacité du système à soigner… ses soignants.

Mickael Lauffri

Passionné par l'innovation technologique et l'impact de la science sur la médecine, je suis rédacteur spécialisé dans le domaine des technologies médicales.
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