Le numérique en santé ne réussira qu’en formant et en connectant intelligemment
Le numérique en santé échoue sans formation ni interconnexion : l’avenir passe par des usages ancrés, utiles et partagés.

Derrière chaque innovation numérique en santé, il y a un risque d’échec si les professionnels ne sont pas formés ou si les systèmes restent déconnectés. Pour les médecins, DSI, dirigeants hospitaliers ou développeurs, c’est un sujet structurant : réussir la transformation numérique sans aggraver les fractures.
Un virage numérique freiné par deux angles morts
Alors que la France investit des milliards dans la santé numérique (2,7 Md€ via le Ségur, 650 M€ pour Mon Espace Santé, 100 M€ pour le Fonds Numérique en Santé 2025), un constat émerge dans les territoires : la réussite de ces programmes dépend moins des outils que de la capacité à connecter les données et les humains.
Selon l’enquête menée par l’Institut Montaigne en 2024, seuls 32% des professionnels de santé se disent « bien formés » à l’usage des outils numériques. Chez les soignants de ville, ce chiffre chute à 18%. À l’hôpital, le taux grimpe à 45%, mais cache une forte hétérogénéité selon les services.
Le paradoxe ? Alors que les investissements sont colossaux, les usages restent fragmentés. Et sur le terrain, deux angles morts freinent l’impact : le manque de formation des professionnels et la faible interopérabilité entre les systèmes.
Former : la condition pour éviter l’inefficacité numérique
Les chiffres sont édifiants. En 2025, selon la DREES, 65% des soignants affirment n’avoir reçu aucune formation spécifique au numérique depuis leur entrée en fonction. Cette lacune alimente un rejet latent, parfois inconscient, mais bien réel. « On impose des outils sans accompagner le changement de pratiques », résume un cadre de santé interrogé lors des dernières Journées du Numérique en Santé.
Dans les établissements, ce manque de formation se traduit par une perte d’efficacité opérationnelle. Le rapport IGAS 2024 sur le numérique hospitalier note que « l’appropriation des outils numériques varie fortement selon les niveaux de formation initiaux et la présence d’un accompagnement terrain ».
Côté formation initiale, les choses commencent à bouger. Depuis la rentrée 2024, les étudiants en médecine ont une UE obligatoire sur la e-santé. Les IFSI intègrent désormais des modules sur les logiciels métiers, le DMP, et la sécurité des données. Mais il reste un trou dans la raquette : les professionnels en poste, en particulier dans le médico-social et en ville, sont les grands oubliés de la formation continue numérique.
Le rapport du think tank Digital New Deal recommande la mise en place d’un “Plan Compétences Numériques Santé” assorti de financements fléchés, comme dans le secteur de l’éducation. Car sans ce virage pédagogique, les outils déployés risquent de générer du rejet plutôt que de la valeur.
Connecter : l’interopérabilité reste le talon d’Achille du numérique en santé
L’autre frein majeur, c’est la fragmentation technique. Malgré les promesses du Ségur numérique, de nombreux établissements peinent encore à échanger efficacement les données. L’INS est bien généralisé, les messageries MSSanté se diffusent, mais l’interopérabilité réelle reste une promesse non tenue.
L’exemple du DMP est révélateur. Alimenté dans 58% des cas par les hôpitaux selon l’ANS, il reste sous-utilisé dans la médecine de ville, faute d’intégration fluide dans les logiciels métiers. Quant au médico-social, il souffre d’un retard chronique en matière de connectivité et de formats compatibles.
Un rapport du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) publié début 2025 recommande une stratégie offensive de convergence des référentiels et une normalisation accélérée des API métiers. « Il ne s’agit pas de créer un nouveau système, mais d’assurer une interopérabilité intelligente des briques existantes », insiste-t-il.
Des initiatives locales montrent la voie. En Bretagne, le GRADeS a lancé un projet d’interopérabilité entre hôpitaux, médecins libéraux et établissements médico-sociaux via une plateforme régionale. En Île-de-France, un appel à projets ARS vise à financer des connecteurs pour améliorer le lien ville-hôpital dans le cadre du virage domiciliaire.
Mais ces réussites restent isolées. Tant que les systèmes ne se parlent pas, les promesses d’un parcours fluide restent théoriques.
Vers une stratégie intégrée : la formation et l’interopérabilité comme piliers
Pour sortir du piège, plusieurs pistes émergent. Le rapport “Numérique en santé : les conditions de la confiance” remis au gouvernement début 2025 propose une stratégie en trois leviers : former massivement les professionnels, rendre lisibles les parcours techniques, et créer des incitations à l’interopérabilité.
La CNAM envisage de conditionner certaines aides aux éditeurs au respect de référentiels d’interopérabilité. L’ANS travaille sur une notation publique des logiciels sur leur capacité à s’intégrer dans Mon Espace Santé.
Et surtout, les professionnels demandent une régulation simple, lisible, centrée sur les usages. Comme l’a souligné un directeur de clinique lors du Salon Santexpo 2025 : « On ne peut pas tout automatiser sans intégrer la dimension humaine. Le numérique, c’est d’abord un projet de transformation culturelle, pas une mise à jour logicielle. »
Sans formation ni connexion, pas de révolution numérique
Le numérique en santé ne manque pas de moyens ni de vision. Il lui manque aujourd’hui des leviers concrets d’appropriation. Former les professionnels, connecter les systèmes, rendre les outils utiles plutôt que contraignants : voilà les conditions minimales pour faire du virage numérique une réussite partagée.
Car sans ces fondamentaux, le risque est clair : empiler les plateformes, sans jamais fluidifier les parcours. Ce n’est pas une fatalité. Mais cela impose de remettre les humains au cœur du numérique.