En consult’ avec Maxim Challiot : Entre algorithmes et palpations : prendre soin de soi à l’ère du numérique médical

Santé mentale des médecins, autoprescriptions, rapport à l’erreur, à l’échec… Il s’agit d’explorer ensemble les vulnérabilités propres à notre métier, son évolution, nos biais, mais surtout de découvrir les outils concrets et les ressources pour rester des soignants en bonne santé.

Il est 15h47. Je fixe l’écran de mon ordinateur où s’affiche simultanément le dossier patient, trois notifications de résultats biologiques à valider, et cette alerte de mon logiciel d’aide à la prescription qui clignote obstinément. Dans ma salle d’attente virtuelle, cinq patients attendent leur téléconsultation, tandis que deux autres patientent physiquement derrière ma porte. Comme tous les jours. Comme pour tous les médecins de cette ère hyper-technologique.

Pourtant aujourd’hui, quelque chose est différent.

Je ressens ce besoin urgent de partager avec vous, lecteurs de Medtech France, ce que seize années de double vie m’ont appris. Seize ans à être simultanément des deux côtés du stéthoscope numérique. À 16 ans, alors que je découvrais ma vocation de médecin, la maladie chronique m’a rattrapé, me condamnant à cette danse perpétuelle entre soignant et soigné dans un système de plus en plus digitalisé.

Cette position unique m’a offert une perspective rare sur notre profession à l’ère du numérique. J’ai vu comment nous, médecins technophiles, nous nous émerveillons devant l’IA diagnostique tout en négligeant les signaux que nous envoie notre propre corps. Comment nous nous enthousiasmons pour les dernières applications de suivi de constantes physiologiques sans jamais les utiliser pour nous-mêmes. Comment nous vantons les mérites de la médecine prédictive tout en ignorant les prédictions de notre propre épuisement.

Car c’est là le paradoxe de notre médecine augmentée : experts en santé numérique, nous sommes souvent les derniers à appliquer cette technologie à notre propre bien-être. Les données sont là, implacables et quantifiées : épuisement professionnel (53% des médecins selon la dernière étude de l’Ordre), troubles du sommeil exacerbés par nos écrans bleus nocturnes, addictions aux stimulants pour tenir le rythme des gardes et des consultations surchargées. Au fil de ces chroniques, nous explorerons ensemble ces vulnérabilités propres à notre métier à l’ère du digital, mais surtout, nous découvrirons les outils technologiques concrets, les ressources innovantes, et les stratégies de prévention numériques qui peuvent nous aider à rester des médecins techno-augmentés en bonne santé.

Cette chronique n’est pas un tutoriel de plus sur “comment optimiser votre workflow médical”. C’est une invitation à la réflexion sur notre rapport intime avec la technologie qui nous entoure. Un espace où je partagerai avec vous ces moments où la technologie devient tantôt notre meilleure alliée, tantôt notre plus grande source d’aliénation.

Chaque mois, entre deux consultations augmentées par l’IA, je vous parlerai de nos défis quotidiens : la fatigue cognitive induite par nos multiples interfaces, la techno-dépendance qui nous guette, le syndrome de l’imposteur face à des algorithmes parfois plus performants que nous. Nous explorerons ensemble ces sujets parfois tabous : notre santé mentale à l’ère des notifications permanentes, nos limites face à l’accélération technologique, notre rapport aux erreurs algorithmiques dont nous sommes coresponsables.

Mes années d’expertise au sein d’associations comme SPS (Soins aux Professionnels de la Santé) m’ont montré que notre plus grande force réside peut-être dans notre capacité à utiliser la technologie avec discernement, comme un outil et non comme une fin en soi. À reconnaître que derrière chaque interface numérique se cache encore et toujours un être humain, avec ses forces et ses fragilités.

Je ne prétends pas avoir toutes les réponses algorithmiques. Mais je sais que chacune de nos expériences, chacun de nos questionnements face à cette médecine en pleine mutation, peut résonner chez un confrère, une consœur, et peut-être faire germer cette idée essentielle : la technologie ne nous rendra pas moins humains, sauf si nous cessons de nous interroger sur notre humanité.

Alors si vous le voulez bien, retrouvons-nous ici chaque mois. Entre deux consultations augmentées. Entre deux vies numériques et réelles. Entre ce que nos algorithmes nous disent que nous sommes et ce que nous aspirons à être.

Il est 16h maintenant. Mon smartphone vient de m’envoyer une notification pour me rappeler de prendre une pause et de boire un verre d’eau – recommandation que j’applique plus facilement à mes patients qu’à moi-même. Mais pour la première fois depuis longtemps, je me sens moins isolé dans ma bulle technologique. Car je sais que quelque part, vous aussi, vous naviguez dans ces moments. Ces moments entre deux consultations numériques, où tout redevient possible.

À la prochaine,
Dr Maxim Challiot