Patients, pas juste bêta-testeurs, mais acteurs à part entière de l’innovation santé
Trop souvent relégué au rôle de testeur, le patient partenaire mérite d’être intégré dès la conception des innovations en santé pour des projets plus pertinents, durables et humains

En France, le patient est encore trop souvent cantonné à un rôle de « testeur final » dans les projets d’innovation en santé. On l’invite à valider un prototype, à donner son avis sur une interface, à réagir à une solution déjà pensée… Comme si son rôle se limitait à ajuster une UX/UI. Or, l’innovation utile et durable en santé suppose tout autre chose : intégrer les patients bien plus tôt, dès la conception. Pas seulement pour valider une idée, mais pour la co-construire.
Aux États-Unis, c’est devenu une évidence. Certaines startups ne lèvent pas de fonds sans avoir un patient advocate au sein de l’équipe fondatrice. Le National Institutes of Health (NIH) intègre les patients dans ses comités de financement. Des fondations puissantes comme la Susan G. Komen Foundation (dédiée au cancer du sein) ou la Patient Advocate Foundation orientent les recherches, participent aux décisions réglementaires avec la FDA, et influencent directement les priorités en matière de santé publique. Leur action repose sur une professionnalisation assumée : les patients y sont formés, rémunérés, reconnus dans leur rôle d’experts du vécu.
En France, même si certaines associations – France Assos Santé, la Ligue contre le cancer, AFM-Téléthon, RoseUp – jouent un rôle crucial, elles peinent encore à s’imposer comme parties prenantes à part entière dans l’écosystème d’innovation. Trop peu de projets les associent dès l’amont. Trop peu d’acteurs du numérique en santé les considèrent comme co-innovateurs. Et bien souvent, leur contribution reste bénévole et ponctuelle, là où elle devrait être structurée et reconnue.
La France accuse donc un certain retard sur ce sujet. A l’inverse, certains pays européens montrent l’exemple. Le Royaume-Uni a depuis longtemps instauré une politique forte de Patient and Public Involvement (PPI). Toute recherche financée par le National Institute for Health Research (NIHR) doit impliquer des patients dès la phase de conception. Aux Pays-Bas, le système de santé valorise la participation citoyenne dans la gouvernance des soins, et des patients siègent dans les conseils d’administration des hôpitaux. Le Danemark, de son côté, a intégré des patients partenaires dans ses programmes de transformation hospitalière pour coconstruire les parcours de soins.
Patient partenaire, un nouveau rôle, marqueur d’innovation sociale mais encore trop discret
En France, le concept de patient partenaire commence à émerger. Il ne s’agit plus d’un simple « patient témoin » ou d’un « usager à consulter », mais d’un véritable acteur de la transformation du système de santé, reconnu pour son expertise expérientielle. Le patient partenaire est formé, impliqué, souvent engagé dans la durée. Il intervient dans des projets de recherche, de soins, de formation ou d’innovation, non pas en bout de chaîne, mais dès l’origine.
Il peut ainsi :
• co-concevoir des solutions numériques adaptées aux réalités du quotidien,
• contribuer à l’évaluation de dispositifs ou de parcours de soins,
• former des professionnels à la communication ou à l’annonce du diagnostic,
• siéger dans des comités éthiques, des jurys d’appel à projets ou des groupes d’experts.
Pour exercer ce rôle, certaines universités françaises proposent des formations spécifiques, sous forme de Diplômes Universitaires (DU). Ces cursus – comme ceux développés à l’Université Sorbonne Paris Nord ou Paris Cité – permettent aux patients d’acquérir les bases en santé publique, éthique, recherche ou communication, afin de contribuer de manière structurée et légitime aux projets de santé. Si ces formations apportent une reconnaissance académique, elles ne s’accompagnent toutefois d’aucun statut professionnel ni cadre national clairement défini.
Les bénéfices sont clairs : pertinence des solutions, meilleure adoption, réduction des ruptures de parcours, innovations plus humaines. Le patient fait émerger des besoins latents, éclaire les angles morts, rappelle les contraintes concrètes que la technique ignore souvent.
Mais les freins demeurent : statut flou, absence de cadre juridique, manque de formation, faible rémunération, difficulté à intégrer certaines sphères techniques. Et un enjeu de représentativité, bien sûr : tous les patients ne peuvent pas devenir partenaires, et il faut éviter de n’écouter que les voix les plus disponibles.
Vers une transformation culturelle
Aujourd’hui, pour opérer une transformation de fond, il faut un véritable changement de posture des acteurs publics et privés. Valoriser la participation des patients, créer des cadres clairs, des modalités d’engagement adaptées, et des dispositifs de reconnaissance (y compris financière) est indispensable. Il en va de l’efficacité, de l’équité, et de la légitimité des innovations déployées.
En tant que patiente engagée, consultante marketing et communication auprès de startups Medtech, coach dans des hackathons, membre de jurys de sélection de projets innovants d’oncologie, je le vois : les projets qui associent les patients dès l’origine vont plus vite et plus loin. Ils évitent les écueils inutiles. Ils créent de la confiance. Et surtout, ils servent mieux la santé de toutes et tous.
Innover sans les patients, c’est rater la cible. Innover avec eux, c’est bâtir une santé utile, humaine et pérenne.