Sous la blouse de Julien : Quand le corps nous parle, l’art d’écouter nos signaux intérieurs
En tant que médecin, j'ai appris que nos patients arrivent souvent dans nos cabinets avec une anxiété bien réelle, porteurs de symptômes qu'ils peinent à décrire, hésitant entre la peur de déranger pour "rien" et l'angoisse qu'il s'agisse de "quelque chose de grave".

Cette tension, je l’ai moi-même vécue des deux côtés du stéthoscope, et elle m’a enseigné l’une des leçons importantes de ma carrière : nous devons tous devenir les premiers interprètes de notre propre corps.
Il y a quelques années, j’ai rencontré une patiente de 45 ans venue me consulter pour ce qu’elle décrivait comme “juste un peu de fatigue”. Mais sa façon de raconter son histoire – cette fatigue qui ne cédait pas au repos, cette sensation d’épuisement dès le réveil, cette incapacité nouvelle à accomplir ses tâches quotidiennes – m’a alerté. Derrière ses excuses répétées de “déranger pour si peu”, se cachait en réalité un signal d’alarme que son corps tentait de lui transmettre depuis des semaines.
Cette rencontre m’a fait réaliser à quel point nous sous-estimons notre capacité naturelle à percevoir les changements subtils de notre organisme. Notre corps est un système d’une intelligence remarquable, qui communique en permanence avec nous. Chaque sensation, chaque douleur inhabituelle, chaque modification de notre état habituel est un message. Le défi n’est pas de devenir notre propre médecin (ce qui serait dangereux) mais d’apprendre ce que j’appelle la “connaissance de son corps” : cette capacité à décoder les signaux que nous envoie notre organisme.
L’anxiété, obstacle ou alliée ?
L’apparition d’un symptôme nouveau déclenche naturellement une vague d’émotions. Cette anxiété n’est pas un défaut : c’est un mécanisme de protection vieux comme le monde. Mais mal gérée, elle peut devenir un obstacle. J’ai vu des patients reporter des consultations par peur du diagnostic, ou à l’inverse, se précipiter aux urgences dans un état de panique qui rendait l’examen difficile.
La clé réside dans la transformation de cette anxiété en connaissance organisée. Quand nous comprenons ce qui relève de l’observation attentive, de la consultation programmée, ou de l’appel d’urgence, nous reprenons le contrôle. Cette hiérarchie des réponses possibles nous libère de l’angoisse paralysante de l’inconnu.
Les signaux qui ne mentent pas
Certains symptômes exigent une réaction immédiate. La douleur thoracique qui survient brutalement, avec cette sensation d’étau caractéristique, remontant vers le bras gauche ou la mâchoire, ne laisse aucune place au doute. De même, ce mal de tête en “coup de tonnerre”, d’une intensité jamais ressentie auparavant, qui atteint son maximum en quelques secondes, constitue une urgence absolue.
Mais au-delà de ces urgences vitales, c’est souvent dans les détails que se cachent les indices les plus précieux. Cette fatigue qui ne ressemble pas à celle que vous connaissez, cette perte de poids involontaire qui s’installe petit à petit, cet essoufflement qui apparaît pour des efforts de plus en plus légers : autant de signaux que notre corps nous adresse avec patience, espérant que nous saurons les entendre.
L’art de l’observation personnelle
J’encourage mes patients à devenir des observateurs attentifs de leur propre corps. Cela ne signifie pas sombrer dans la peur permanente de la maladie, mais développer une conscience corporelle fine. Tenir un journal de ses symptômes peut transformer une plainte vague en un ensemble de données concrètes précieuses.
Prenons l’exemple de la fatigue. Dire “je suis fatigué” reste très imprécis. En revanche, noter que cette fatigue est présente dès le réveil, qu’elle ne s’améliore pas avec le repos, qu’elle s’accompagne d’une sensation de “brouillard mental”, et qu’elle empire de façon excessive après le moindre effort physique, oriente déjà vers des pistes diagnostiques spécifiques.
Le dialogue Médecin-Patient amélioré
Ma pratique a évolué grâce aux patients qui arrivent en consultation avec une description organisée de leurs symptômes. Quand un patient peut me dire que sa douleur a débuté brutalement mardi à 14h, qu’elle est localisée précisément sous les côtes à droite, qu’elle remonte vers l’épaule, qu’elle s’intensifie à l’inspiration profonde et qu’elle s’accompagne de nausées, nous avons déjà parcouru la moitié du chemin diagnostique.
Cette préparation transforme la consultation. Au lieu de passer le temps limité de la visite à tenter d’extraire ces informations cruciales, nous pouvons nous concentrer sur l’examen, l’interprétation et la stratégie thérapeutique. Le patient devient un véritable partenaire de l’enquête diagnostique.
Technologie et Humanité : Un équilibre nécessaire
Dans notre ère numérique, les applications de surveillance de santé et les objets connectés offrent des outils précieux pour cette auto-observation.
Mais attention à ne pas perdre de vue l’essentiel : ces données ne valent que par l’interprétation humaine qu’on en fait, et elles ne remplacent jamais le dialogue avec un professionnel de santé.
J’ai observé, lors de mes échanges avec des collègues japonais, leur approche globale de la santé, où l’observation de soi fait partie intégrante de la culture médicale. Cette philosophie nous rappelle que prendre soin de sa santé est un processus continu, pas une série d’interventions ponctuelles.
L’importance de la chronologie
Un aspect souvent négligé mais crucial est la notion de changement. Un patient migraineux depuis vingt ans connaît “sa” douleur. Mais si cette migraine habituelle change de caractère, d’intensité, ou s’accompagne de nouveaux symptômes, elle devient un signal d’alarme au même titre qu’une première céphalée intense. La question pertinente n’est pas seulement “Ai-je mal ?”, mais “Est-ce que cette douleur ressemble à ce que je connais ?”.
Vers une médecine participative
Cette approche participative de la santé change la relation thérapeutique. Le patient cesse d’être un récepteur passif de soins pour devenir un acteur éclairé de sa propre santé. Cette évolution m’intéresse car elle démocratise l’accès à une médecine de qualité : un patient bien informé peut obtenir de meilleurs soins, quel que soit le contexte de sa consultation.
L’écoute comme thérapie
Apprendre à écouter son corps, c’est développer une forme d’intelligence émotionnelle appliquée à sa propre santé. C’est transformer l’anxiété en vigilance constructive, l’incertitude en questions précises, et la passivité en partenariat thérapeutique actif.
Cette démarche ne remplacera jamais l’expertise médicale, mais elle la complète et l’enrichit. Elle nous rappelle que notre corps est notre compagnon de vie le plus fidèle, et qu’apprendre son langage est l’un des investissements les plus précieux que nous puissions faire pour notre bien-être futur.
Car au final, être attentif aux signaux de son corps, c’est honorer cette relation unique que nous entretenons avec nous-mêmes, et poser les bases d’un dialogue de santé qui nous accompagnera tout au long de notre existence.
Chronique écrite avec le coeur, améliorée avec l’IA.