Levées records, modèles résistants, échecs : qui ont été les grands “gagnants” ?
Le point sur les levées records, les modèles résistants et les échecs marquants en santé en 2025. Qui sont les vrais gagnants ? Analyse complète.
L’année où le marché a cessé de financer des promesses pour financer des preuves
Pour les professionnels qui pilotent, financent ou construisent l’innovation en santé, 2025 marque un basculement net. Le temps où n’importe quelle application santé pouvait lever sur la promesse vague d’un “usage révolutionnaire” est terminé. Les données, les deals et les effondrements de ces douze derniers mois racontent autre chose : le marché investit désormais uniquement là où il peut mesurer un retour concret, clinique ou industriel. Les gagnants de cette période ne sont donc pas les plus visibles, mais ceux qui ont résisté à l’assèchement du capital en démontrant une valeur immédiate. En filigrane, c’est une véritable sélection naturelle qui s’est opérée.
Les mégas tours de table : la concentration sur les modèles à impact mesurable
Sur le front des réussites, l’époque est clairement aux acteurs capables de montrer une efficacité sans ambiguïté. Dans l’IA appliquée à la santé, les investisseurs ont désigné leurs champions. Alan continue de défier les cycles en consolidant sa place d’assureur-technologique majeur avec 173 millions d’euros levés en septembre 2024, une performance exceptionnelle dans un marché contraint. La trajectoire est presque contre-cyclique : là où d’autres assurtech ont reculé, Alan avance en assumant un modèle intégré qui dépasse la simple couverture pour devenir un outil de pilotage de la santé des populations. Le message envoyé aux investisseurs est simple : la rentabilité programmée pour 2026 n’est plus un rêve, mais un plan.
Du côté de l’IA clinique, Nabla a confirmé la dominance du modèle “copilote médical”. Les 70 millions de dollars levés fin 2023 ont été suivis d’adoptions hospitalières rapides qui valident la thèse B2B : ce qui s’impose, ce ne sont pas les IA qui promettent de diagnostiquer mieux que les médecins, mais celles qui éliminent l’administratif en temps réel. Le gain est immédiat, quantifiable et parfaitement compatible avec les contraintes hospitalières. Là encore, le marché privilégie l’efficacité à la disruption.
Le même phénomène se retrouve en biotech profonde. Adcytherix a signé l’un des tours de Série A les plus conséquents en Europe avec 105 millions d’euros. Le secteur des ADC (Antibody-Drug Conjugates) est devenu l’un des terrains les plus prisés de la pharma mondiale, et les investisseurs misent logiquement sur ceux qui maîtrisent à la fois la science et la voie réglementaire. Les champions de cette catégorie ne sont pas ceux qui promettent un nouveau paradigme thérapeutique : ce sont ceux capables de transformer une technologie lourde en actifs licensables à court ou moyen terme.
Ce trio assurance intégrée, IA d’efficacité médicale, biotech à forte intensité scientifique montre une tendance claire : les mégas levées ne récompensent plus les pitchs inspirants mais les produits qui réduisent un coût, accélèrent un flux ou possèdent une science difficilement réplicable.
Les échecs : quand le narratif ne suffit plus à tenir le modèle
L’autre versant de l’année est tout aussi instructif. Plusieurs acteurs jusque-là emblématiques ont montré les limites d’un modèle trop fondé sur la promesse, pas assez sur l’économique. Pixium Vision, pourtant symbole de l’innovation de rupture en vision artificielle, n’a pas survécu. La liquidation prononcée début 2024 n’a pas sanctionné la qualité de la science, mais l’incapacité à tenir un time-to-market compatible avec des cycles de financement plus courts. Le message est brutal : la technologie la plus spectaculaire ne gagne rien sans un adossement industriel solide.
Le cas BioSerenity illustre le même problème dans une autre dimension. Longtemps vitrine de la French Tech santé, l’entreprise s’est heurtée à l’écart grandissant entre ambition technologique et réalité du remboursement. Les textiles connectés avaient des usages cliniques potentiels, mais sans modèle économique immédiat, le système a vacillé. La reprise à la hâte a évité le pire, mais confirme l’idée que les projets hardware-santé isolés, sans chaîne industrielle maîtrisée, sont désormais extrêmement fragiles.
À l’international, l’effondrement de Babylon Health a agi comme un signal d’alarme. Pendant des années, la licorne britannique a incarné l’ambition numérique : consultation en ligne massifiée, IA triage, service B2C global. La faillite a rappelé un point fondamental : les modèles fondés uniquement sur la croissance d’usage, sans rentabilité structurelle, ne tiennent plus lorsqu’un marché se contracte. Les investisseurs, aujourd’hui, ne financent plus des visions mais des bilans.
L’ensemble de ces échecs révèle une nouvelle réalité : les innovations séduisantes pour le grand public ne survivent pas si elles ne s’inscrivent pas dans un schéma économique hospitalier, assurantiel ou industriel. La santé n’est pas un marché d’usage. C’est un marché de contraintes.
Les modèles résistants : industrialisation, proof-of-value et ancrage territorial
Entre les levées spectaculaires et les effondrements retentissants, un troisième groupe tire son épingle du jeu : les acteurs qui construisent, pas ceux qui pitchent. Dans cette catégorie, Lattice Medical symbolise parfaitement cette nouvelle génération de gagnants. Avec 43 millions d’euros levés pour la construction d’une usine à Lille, la société montre ce qui fonctionne réellement aujourd’hui : une innovation portée par une fabrication locale, un produit implantable qui répond à un besoin clinique clair, et un modèle de souveraineté industrielle soutenu par l’État via France 2030. Les investisseurs n’achètent pas une vision. Ils achètent une capacité à produire.
L’autre grand modèle résilient est celui de l’exit industriel. Le rachat d’Amolyt Pharma par AstraZeneca pour 1,05 milliard de dollars a fait l’effet d’un électrochoc positif en France. Cet exemple montre que la biotech française peut générer des actifs mondiaux sans passer par la case introduction en bourse. La logique économique est limpide : céder une technologie avant la phase commerciale mondiale maximise la valeur pour les investisseurs tout en réduisant l’exposition au risque. Là encore, la clé n’est pas la promesse, mais la preuve.
Ce paysage “des résistants” a un enseignement majeur : les gagnants de 2025 sont ceux qui ont construit autour d’un actif tangible, qu’il soit industriel, scientifique ou opérationnel. L’époque où une simple plateforme technologique suffisait à convaincre est révolue.
La polarisation du marché : quelques champions, beaucoup d’exclus
Derrière les succès visibles, une mécanique plus profonde se met en place : la polarisation extrême du financement. Le nombre de deals baisse, mais la taille des tickets augmente. Les fonds misent sur très peu d’acteurs, mais les soutiennent massivement. Le seed est devenu plus sélectif, la série A beaucoup plus exigeante, et la série B quasi inaccessible sans traction démontrée. Autrement dit, lever est encore possible, mais seulement si l’entreprise appartient au cercle restreint où le retour sur investissement peut être mesuré à court terme.
Ce mouvement entraîne une conséquence forte sur l’écosystème. Les acteurs du B2C santé disparaissent progressivement faute de modèle économique viable. Les solutions de monitoring connectées, les applications bien-être ou les plateformes de rendez-vous n’ont plus la faveur des investisseurs. À l’inverse, les solutions B2B orientées efficacité, optimisation hospitalière ou réduction des coûts continuent de croître, même dans un marché incertain. Le critère déterminant est simple : réduire un coût ou prouver une efficacité clinique.
Ce que doivent retenir les acteurs du secteur
Pour les dirigeants, investisseurs ou fondateurs qui veulent comprendre comment se positionner dans ce paysage, la leçon de 2025 est claire : le marché finance encore l’innovation, mais uniquement celle qui résout un problème économique réel. Les grands gagnants ne sont pas dans l’effet de nouveauté, mais dans la maîtrise d’un actif difficile à répliquer. Ceux qui tirent leur marque de leur capacité à intégrer la technologie dans un système existant, pas à le contourner, traversent les cycles sans vaciller.
La santé reste un marché lent, mais les décisions d’investissement, elles, sont devenues rapides. Face à ces contraintes, les modèles résistants ont tous un point commun : un ancrage clinique et industriel qui dépasse le narratif. Ce sont eux qui, aujourd’hui, définissent réellement l’innovation.