Une direction « recherche, innovation et numérique en santé » : le ministère se réorganise pour accélérer l’innovation

La France crée une direction dédiée à la recherche, l’innovation et au numérique en santé. Analyse des impacts pour CHU, startups et investisseurs.

L’ouverture des Assises hospitalo-universitaires 2025 à Nantes a été marquée par une annonce structurante : la création d’une direction ministérielle entièrement dédiée à la recherche, à l’innovation et au numérique en santé. Pour les CHU, les startups, les investisseurs et les acteurs de terrain, ce changement n’a rien de cosmétique. Il redessine les circuits de décision, les financements et le dialogue État-innovateurs pour les années à venir.

Un signal politique dans un moment de tension budgétaire et de compétition internationale

Stéphanie Rist a dévoilé la réforme le 27 novembre, en ouverture des 19ᵉs Assises hospitalo-universitaires. Cette annonce s’inscrit dans la mission gouvernementale « État efficace » initiée par Sébastien Lecornu, qui vise à rationaliser l’action publique et simplifier les chaînes de décision, dans un contexte de déficit public et de pression accrue sur les finances du système de santé.

Le timing est loin d’être anodin. Le gouvernement a lancé en parallèle une stratégie IA et données de santé, ouvert la concertation sur la Doctrine numérique 2026 et annoncé, quelques jours plus tôt, un dispositif Fast-track pour les essais cliniques permettant une autorisation en 14 jours au lieu de 31. L’ensemble dessine une volonté : raccourcir les délais entre innovation, validation réglementaire et accès aux patients.

Une fusion inédite : du numérique à l’innovation organisationnelle

La future direction regroupera la Délégation au numérique en santé (DNS), l’Agence de l’innovation en santé (AIS), la mission Article 51 et les équipes de recherche et d’innovation éclatées au sein du ministère.
Ce rapprochement met fin à une architecture devenue difficilement lisible pour les acteurs. La DNS pilotait les infrastructures numériques nationales ; l’AIS finançait et structurait l’innovation biomédicale et industrielle ; Article 51 expérimentait de nouveaux modèles organisationnels ; les directions générales du ministère menaient chacune leurs politiques de recherche.

L’objectif est d’harmoniser ces dynamiques jusqu’ici parallèles. La ministre parle de « rassembler les forces », de « renforcer la capacité d’anticipation » face aux ruptures technologiques, et de « transformer le système de santé par la donnée ». L’ambition est claire : passer d’une innovation éparse à un pilotage cohérent, capable de décider vite.

Anticipation, rapidité, souveraineté : les trois piliers annoncés

Le discours de Nantes assume le diagnostic : la France innove, mais trop lentement. Les silos actuels freinent l’industrialisation des solutions de santé, alors que d’autres pays, Royaume-Uni, Suisse, Allemagne, États-Unis ont déjà structuré des guichets uniques pour attirer essais cliniques et investissements biotech.

Le gouvernement veut donc une direction qui anticipe les ruptures, harmonise les stratégies venant de la recherche, du numérique, des données et de l’innovation industrielle, et renforce la souveraineté sanitaire. Cette logique dépasse les politiques « Ségur » ou « France 2030 » : elle place la donnée et l’IA au centre de la transformation, avec un pilotage intégré des infrastructures, des usages et de la recherche clinique.

Une préfiguration déterminante : 2026 sera l’année charnière

La ministre a annoncé une mission de préfiguration. Elle devra définir l’organisation interne, la gouvernance, les workflows de financement, les relations avec les ARS, la coordination avec l’ANSM et les CPP pour les essais rapides, ainsi que l’articulation avec les SATT et les structures de transfert technologique.

Aucune date officielle n’a été donnée, mais plusieurs indices convergent : la mission « État efficace » doit publier ses réformes au premier trimestre 2026, la Doctrine numérique 2026 sera tranchée au même moment, et le pilote Fast-track sera consolidé courant 2026. La fenêtre la plus probable pour l’installation de la direction se situe entre la fin du premier trimestre et la seconde moitié de l’année 2026.

Un pilotage plus rapide mais une charge d’adaptation

Les CHU devraient bénéficier d’un accès plus fluide aux essais cliniques grâce au Fast-track, ainsi que d’un guichet unifié pour l’innovation. La gouvernance de la donnée, frein récurrent pour les entrepôts hospitaliers, pourrait être clarifiée avec la fusion des compétences de la DNS et de l’AIS.

Mais l’intégration des structures suppose des transitions administratives lourdes : montée en charge des investigateurs, nouvelles exigences en IA et cybersécurité, adaptation des processus internes. L’avantage stratégique dépendra donc de la capacité des CHU à se saisir rapidement de ces évolutions.

Simplification espérée, exigences renforcées

L’un des bénéfices majeurs est la promesse d’un interlocuteur unique avec l’État. Moins de fragmentation, moins de délais, davantage de lisibilité. Les startups pourront aligner leurs dossiers réglementaires, d’interopérabilité et de financement sur une même stratégie nationale.

En contrepartie, la réforme va probablement durcir les critères : impact médico-économique démontrable, souveraineté, conformité IA, interopérabilité obligatoire. Les projets considérés comme périphériques ou peu robustes risquent d’être écartés plus tôt dans le processus.

Un signal pro-innovation sous contrainte budgétaire

Cette réorganisation indique que l’État veut rester un acteur majeur du financement de l’innovation santé, notamment via France 2030 et les appels AIS. Elle donne aussi une orientation stratégique claire : priorité aux technologies compatibles avec l’IA, la donnée, la bioproduction, les dispositifs médicaux avancés et les innovations organisationnelles.

Mais les investisseurs devront surveiller de près l’impact de la mission « État efficace », qui prévoit des réductions de dépenses pouvant toucher les dispositifs d’aide à l’innovation. Le gouvernement accélère, mais avec un contrôle budgétaire renforcé.

Accès plus rapide aux innovations, mais vigilance sur les usages de l’IA

L’accélération des essais cliniques et la structuration des données peuvent permettre un accès plus précoce à des thérapies innovantes, thérapies cellulaires, thérapies géniques, algorithmes cliniques, outils d’aide au diagnostic.

Cependant, l’arrivée d’obligations réglementaires liées à l’IA (AI Act) et aux normes européennes de sécurité va demander un effort de formation et une appropriation par les praticiens, notamment en termes de supervision humaine, de gestion des risques et de traçabilité.

Les zones d’ombre : leadership, budget, articulation territoriale

La ministre n’a pas précisé qui prendra la tête de cette nouvelle direction, ni les contours exacts de son budget.
Rien n’a été dit non plus sur la place des ARS, qui jouent pourtant un rôle clé dans la recherche clinique et l’innovation organisationnelle, ni sur l’articulation avec les autres ministères impliqués dans la santé, l’industrie et la recherche.

Ces inconnues conditionneront la capacité de la réforme à véritablement simplifier le paysage plutôt qu’à créer une structure supplémentaire.

La création de cette direction est un signal fort : l’État assume désormais une stratégie d’innovation orientée vitesse, données et technologie, avec l’objectif d’accélérer la recherche clinique et de mieux industrialiser les innovations.

Pour les CHU, les startups, les investisseurs et les professionnels de santé, 2026 sera l’année décisive pour comprendre, anticiper et s’adapter à cette nouvelle gouvernance.

Mickael Lauffri

Passionné par l'innovation technologique et l'impact de la science sur la médecine, je suis rédacteur spécialisé dans le domaine des technologies médicales.

Dans la même catégorie

Bouton retour en haut de la page
1s
toute l'actualité sur l'innovation médicale
Une fois par mois, recevez l’essentiel de l’innovation en santé, sans spam ni surplus.
Une newsletter totalement gratuite
Overlay Image