Pénurie de médicaments : Crise conjoncturelle ou structurelle ? État des lieux en France depuis janvier 2025

« Désolé Madame, nous n’avons plus ce médicament… il est en rupture ». Qui n’a jamais entendu cette phrase ?

La pénurie de médicaments en France s’accentue depuis janvier 2025 et risque de se transformer en crise sanitaire. Cette pénurie touche non seulement des médicaments spécialisés en psychiatrie et en oncologie mais également des traitements courants comme le paracétamol ou l’amoxicilline pour des pathologies fréquentes. La préoccupation est majeure en pédiatrie.

Cette pénurie est plus marquante dans les zones de déserts médicaux entraînant un mécontentement grandissant des pharmaciens d’officine et de PUI, devant gérer l’angoisse des patients et les besoins des centres hospitaliers pour les traitements lourds.

La crise devient structurelle

Du fait de la mondialisation des échanges, en particulier ses substances primaires des médicaments la France est devenue dépendante de l’Inde et de la Chine, qui représentent jusqu’à 80% de la production des principes actifs. Les commandes mondiales se font au fil de l’eau sans stock disponible en France, entraînant une impossibilité d’adaptabilité lors des affections saisonnières afin de pourvoir aux variations des demandes. En 2025, les défaillances d’entreprises pharmaceutiques ont bondi de +37,2 %, traduisant un secteur en grande difficulté.

D’autre part, la tarification réglementée des médicaments en France rend le marché peu attractif pour les grandes entreprises pharmaceutiques. Les laboratoires privilégient les molécules rentables. La conséquence immédiate devant la non-rentabilité de certains médicaments est leur arrêt ou leur suppression complète. La production locale s’est progressivement arrêtée, avec par exemple le Doliprane, médicament le plus vendu en France est passé sous contrôle américain en 2024 !

Mais cette crise ne se résume pas à un problème de stock ou d’approvisionnement. De structurelle, cette crise devient territoriale.

Voici quelques chiffres qui font réfléchir

  • En 2024, 39 % des Français ont été confrontés à une pénurie, 35 % sans alternatives.
  • Une rupture entraîne en moyenne une baisse de 11 % des livraisons aux officines sur la durée de l’épisode.
  • Plus de la moitié des pharmacies disposent de moins d’un jour de stock pour les traitements clés des patients bipolaires ou dépressifs.
  • L’arrêt à l’automne 2024 d’une usine grecque pour un antipsychotique et un antidépresseur courant a entraîné une pénurie en cascade.

Source : Polytechnique insights

La pénurie de médicaments aggravée par les déserts médicaux

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a signalé depuis janvier 2025, 14 tensions d’approvisionnement et rupture de médicaments en particulier psychiatriques.

Dans les zones sous dotées en médecin, l’accès aux soins est déjà difficile. C’est la double peine avec la pénurie de médicaments. En effet, le déficit en médecin entraîne souvent une diminution du nombre de pharmaciens par habitant, en particulier dans les zones rurales ou périurbaines. Quand un médicament manque dans la pharmacie la plus proche il faut parfois faire des kilomètres pour aller chercher dans une autre et parfois sans pouvoir obtenir un substitut. Les pharmaciens d’officines appellent régulièrement les médecins traitants pour pouvoir changer les prescriptions en fonction de leur stock.

Cet état aggrave la situation car dans les zones sous-dotées, les médecins restants sont déjà débordés par leur patientèle et doivent adapter une alternative thérapeutique en temps réel à l’appel du pharmacien : Suspension de la consultation en cours, ouverture du dossier du patient présent en officine, recherche des alternatives thérapeutiques possibles sans contre-indication avec le traitement en cours et re prescription…

Aller chercher un médicament indispensable, loin de chez soi est un réel obstacle pour les patients âgés ou précaires. D’où le renoncement pour certains de poursuivre leur traitement et un risque accru d’automédication.

Et le cercle vicieux est enclenché : Les déserts médicaux incite un désinvestissement d’installation de nouvelles pharmacies, les stocks des pharmacies sur place sont « dévalisés » Les patients en rupture de traitement augmentent.

Les pharmaciens en première ligne de cette (ces) crise(s)

Au final, les pharmaciens d’officines sont en première ligne devant cette pénurie de médicaments. Le temps consacré à la gestion des pénuries a doublé, passant de 5,3 à 10,6 heures par semaine en moyenne.

Ils doivent faire face à des patients mécontents au quotidien et faire preuve de beaucoup de patience pour gérer la rupture. En effet, ils doivent passer du temps pour trouver des alternatives aux médicaments prescrits, appeler les médecins prescripteurs pour confirmer le changement de molécules, réassurer les patients. Et bien sûr, aucune reconnaissance financière en rapport avec cette augmentation d’activité chronophage. Cette situation entraîne une surcharge invisible pour les officines et les pharmacies hospitalières.

Pour tenter de pallier aux déserts médicaux , les pharmaciens sont souvent de premier recours pour les vaccinations , les conseils , les dépistages et peuvent prescrire certains antibiotiques. Ils se trouvent donc bien isolés devant cette tension grandissante.

Les syndicats de groupements pharmaceutiques et l’ordre national des pharmaciens dénoncent le manque de visibilité des stocks disponibles L’incertitude logistique sur les délais de livraison et les répartitions Virgule la substitution parfois impossible sans autorisation expresse pour certains médicaments.

Les pharmaciens exerçant en centre hospitalier doivent remettre en question certains protocoles d’oncologie, entraînant un stress supplémentaire pour les équipes soignantes et les patients fragilisés

Les mesures gouvernementales

Pour certains médicaments critiques, des centres de sécurité d’approvisionnement de quatre mois sont désormais exigées. En cas de non-respect, des sanctions peuvent atteindre plusieurs millions d’euros.

Des programmes pilotes sont lancés en 2025 pour permettre aux médecins d’accéder en temps réel à l’état des stocks via leur logiciel, facilitant la prescription d’alternatives

Augmenter la géolocalisation des stocks, favoriser la e-prescription intelligente, développer le soutien de logistique de transport et de coordination des médicaments dans les zones isolées.

Le plan national 2024–2027 pour sécuriser les 450 médicaments dits “essentiels” va dans le bon sens, mais reste très largement centré sur l’hôpital et l’amont de la chaîne.

Si des mesures structurelles ne sont pas prises , notamment en matière de substitution, de rémunération, d’accès à l’information logistique et d’intégration dans les décisions sanitaires, la désaffection de la profession pourrait s’accélérer.

Et si la souveraineté sanitaire française passait autant par une relocalisation de la production que par une nouvelle organisation territoriale des soins ? Relancer une industrie pharmaceutique locale tout en réinvestissant dans les zones désertées par les médecins, c’est peut-être la seule façon d’éviter que la prochaine pénurie ne se transforme en rupture durable de soins.

Pascale Karila-Cohen

Dr Pascale Karila-Cohen, radiologue hospitalière, entrepreneuse engagée, fondatrice de docndoc.fr. Collectifs de professionnels de santé luttant contre les déserts médicaux depuis 2016.

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