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Quand l’appel au 15 devient un acte médical : et si la régulation entrait enfin dans le parcours de soins ?

Faut-il enfin reconnaître la régulation médicale comme un acte de soin à part entière ? Alors que la moitié des appels au 15 ne donnent lieu à aucun transport, le Congrès Urgences 2025 met en lumière un pan invisible mais crucial du parcours de soins : celui où tout commence, au téléphone, entre expertise clinique, tri vital… et oubli réglementaire.

Ils sont près de 28 millions chaque année à composer le 15. Et dans la moitié des cas, ils ne seront ni transportés, ni hospitalisés, ni même physiquement examinés. Pourtant, chacun de ces appels mobilise une évaluation clinique, un raisonnement médical, une décision. Alors pourquoi la régulation médicale reste-t-elle encore considérée comme une simple passerelle logistique, alors qu’elle agit déjà comme un véritable acte de soin à distance ? Cette interrogation était au cœur d’une conférence sous tension, organisée ce mercredi 4 juin au Congrès Urgences 2025, sous le titre évocateur : « L’urgentiste ne doit pratiquer que de la Médecine d’Urgence ». En filigrane : la place réelle de la régulation dans le parcours patient.

95 % des dossiers traités au 15 ne mobilisent pas de SMUR : un soin sans trace

Sur les 32,3 millions d’appels reçus en 2023, 27,8 millions ont été effectivement pris en charge par un assistant de régulation médicale. Cela a donné lieu à 14,2 millions de dossiers médicaux constitués, dont près de 9 millions ont été considérés comme relevant de l’aide médicale urgente. Pourtant, seulement 750 000 sorties SMUR ont été réalisées dans l’année. Le reste ? Ce sont 5,3 millions de renvois vers la médecine de ville, 5,2 millions de transports par pompiers ou ambulanciers privés, et des millions de patients pris en charge par un simple échange téléphonique, sans aucune trace dans leur dossier médical.

Réguler, c’est diagnostiquer : pourquoi la médecine conversationnelle compte

Contrairement à l’image persistante d’un simple filtrage, la régulation médicale est devenue un acte d’analyse clinique, notamment dans des contextes de complexité psychosociale ou de comorbidité. La proportion de dossiers régulés sans transport (près de 50 %) traduit non pas un excès de prudence, mais une expertise mobilisée à distance. Un médecin régulateur ne se contente pas d’orienter ; il questionne, priorise, évalue la gravité, souvent en quelques minutes. Cette médecine conversationnelle à distance, encore peu reconnue, rejoint les défis posés par la structuration de la télésanté dans les parcours de soins.

La régulation filtre mieux que le patient lui-même

Autre donnée marquante discutée lors de la session : la différence entre les patients « adressés » et ceux venus d’eux-mêmes aux urgences. Selon une étude rétrospective de plus de 1,4 million de passages (source : H. Moreau et al., Urgences Paris), les patients orientés via un médecin présentent une gravité et un taux d’hospitalisation nettement plus élevés. Parmi eux, 38 % sont hospitalisés, contre seulement 12 % chez les patients non adressés. Le score de gravité CCMU atteint des niveaux critiques (4–5) dans 3 % des cas adressés, contre 0,4 % des cas spontanés.

Cette disparité souligne la pertinence du tri médical en amont. Autrement dit, plus le professionnel intervient tôt, plus l’orientation est juste. La régulation n’est pas une ligne d’attente : c’est une étape structurante du parcours de soins. Mais elle reste une étape sans statut.

Quand 3 patients sur 4 arrivent seuls : l’autre indicateur du malaise

Selon les données de la base FEDORU 2021, 74 % des patients arrivent encore aux urgences par leurs propres moyens. Voiture, transports en commun, parfois à pied. Les ambulances ne représentent que 12 % des arrivées, les VSAV 12 % également, et le SMUR à peine 1 %. Cette autonomisation apparente masque une autre réalité : le triage médical n’a tout simplement pas eu lieu dans trois cas sur quatre. Les patients contournent le système, souvent par méconnaissance, parfois par découragement.

Pour les organisateurs du congrès, cette dérive rend d’autant plus urgente la formalisation de la régulation comme porte d’entrée médicale réelle, interfacée avec les logiciels de tri, les dispositifs d’orientation territoriale (SAS), et les outils numériques de suivi.

Pour les entreprises, un soin sans acte reste un marché sans produit

En l’état, la régulation médicale est invisible dans les outils numériques : pas de traçabilité dans le DMP, pas d’architecture commune avec les services de télémédecine, pas de logique de valorisation financière ni d’indicateurs qualité associés. C’est une zone blanche du parcours patient. Pourtant, pour les acteurs du numérique en santé, la demande est claire : documenter, connecter, et renforcer la régulation médicale. Un soin sans reconnaissance réglementaire ni traçabilité dans le parcours de soins, comme l’ont déjà souligné plusieurs experts dans le contexte d’une nécessaire régulation agile des innovations en santé.

Cela suppose plusieurs chantiers :

  • interopérabilité entre logiciels de régulation et DPI hospitaliers
  • intégration des échanges dans les dossiers patients partagés,
  • développement de solutions d’aide à la décision (sans substitution),
  • création d’indicateurs qualité pour évaluer les régulations pertinentes.

La reconnaissance de la régulation médicale comme un acte ouvrirait la voie à des innovations ciblées : IA conversationnelles supervisées, suivi post-régulation, alertes précoces populationnelles… mais sans base clinique tracée, tout reste à inventer.

Reconnaître la régulation comme un soin : un enjeu de santé publique

Au Congrès Urgences 2025, les débats ont mis en lumière une réalité brute : la médecine d’urgence commence souvent bien avant l’arrivée du patient. Elle commence au téléphone, entre un médecin régulateur et un citoyen désorienté. Et dans ce dialogue, se joue parfois l’essentiel : désamorcer une urgence, éviter un déplacement inutile, gagner du temps pour ceux qui en manquent.

En 2025, le système de santé ne peut plus se permettre d’ignorer la valeur médicale de cet acte invisible. Le reconnaître, c’est mieux former, mieux équiper, mieux intégrer la régulation dans les parcours. Mais c’est aussi, pour les innovateurs en santé, une occasion d’inventer une médecine d’avant l’urgence, précoce, adaptée, et connectée.

Clémence Minota

Je suis rédactrice spécialisée en santé et innovation, passionnée par l'impact des technologies sur l'évolution des soins médicaux. Mon expertise consiste à décrypter les dernières avancées du secteur et à fournir des contenus clairs et pertinents pour les professionnels de santé.

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