“J’ai eu la chance de voir plein de gens mourir” : ce que la fin de vie a appris à Julien Welmant, oncologue radiothérapeute et fan de tech

Peut-on être médecin, entrepreneur, geek, humaniste et rester fidèle à soi-même ? Julien Welmant, onco-radiothérapeute engagé, raconte comment la mort, la technologie et la créativité l’ont transformé. Une plongée rare dans les coulisses d’un soignant qui ose tout remettre en question.

Dans un monde hospitalier trop souvent verrouillé par les protocoles, Julien Welmant cultive une forme rare de liberté. Onco-radiothérapeute à l’Institut du Cancer de Montpellier, spécialisé en pédiatrie, co-dirigeant d’ONCODOC et passionné de technologies immersives, il veut réconcilier la rigueur scientifique avec la créativité et la spiritualité. Il raconte ici, sans filtre, ce que le système empêche, ce qu’il faut oser, et ce qu’il espère transmettre.

Medtech France : Si on oublie les titres, tu dirais quoi de toi, Julien ?

Dr Julien Welmant : Je suis un créatif. Et longtemps, je ne l’ai pas su. J’ai grandi dans un monde très rationnel, très balisé, celui de la médecine, où on nous apprend à rentrer dans des cases et à suivre un protocole. J’ai toujours eu cette énergie intérieure de création, mais je l’ai longtemps ignorée ou refoulée, pensant qu’elle n’avait pas sa place dans mon métier. Et puis l’intelligence artificielle est arrivée. Elle m’a ouvert un espace d’expression inédit. J’ai commencé à tester, à m’amuser, à explorer. J’ai écrit, imaginé des livres pour enfants, créé des images… Et je me suis souvenu : en fait, j’ai toujours été comme ça. Juste que j’avais mis ce pan de moi entre parenthèses.

M.F : Et qu’est-ce que les gens ne voient pas tout de suite chez toi ?

Dr J.W : Les gens me voient comme un médecin sérieux, rigoureux, un peu geek aussi. Ils voient la blouse blanche, le robot dans le service, les conférences… Mais ils ne perçoivent pas tout de suite ce que je fais en arrière-plan : cette créativité omniprésente, que je mets dans chaque détail de mon quotidien. Mon bureau ne ressemble pas à un bureau médical classique. Il y a des figurines, du Japon, des couleurs, des références à la culture pop. C’est un espace qui casse les codes. C’est un message en soi. Je veux que chaque patient, en particulier les enfants, se sente accueilli dans un univers plus doux, plus ludique. Et au-delà du décor, ma façon de parler, d’expliquer, de tisser du lien, elle aussi est très personnalisée. J’adapte mes métaphores, mes mots, mes gestes à la personne que j’ai en face. Ça ne se voit pas, mais ça change tout.

M.F : Tu t’es déjà senti à contre-courant dans le système de soins ?

Dr J.W : Oui. Et plus j’avance, plus c’est le cas. Le système médical est très normé, très codifié. On nous dit de faire preuve d’humanité, mais tout est balisé par des protocoles. À force, on oublie que l’essence même du soin, c’est la relation. C’est d’accepter une forme d’incertitude, de singularité. Je crois que l’humanité, c’est justement la capacité à créer du lien en dehors du script. Et aujourd’hui, cette part-là est souvent étouffée. On me dit parfois : “Mais on a toujours fait comme ça.” Cette phrase me hérisse. On ne peut pas évoluer si on ne remet jamais en question ce qu’on fait.

M.F : Tu es médecin mais aussi entrepreneur. Tu penses qu’on t’écoute plus aujourd’hui à cause de ton métier ou de ta posture ?

Dr J.W : Franchement, on m’écoute parce que je suis médecin. C’est un totem social. Il suffit d’enlever cette étiquette, et tes propos ont tout à coup moins de portée. C’est pour ça que je suis très conscient de cette position. Je m’en sers, oui, mais je le fais pour faire avancer des idées qui me semblent importantes, pas pour m’auto-légitimer. Le titre ne fait pas la valeur des idées, mais dans notre société, il donne le micro. Alors autant s’en servir à bon escient.

M.F : Qu’est-ce qui te révolte dans la manière dont on pense la médecine technologique aujourd’hui ?

Dr J.W : On a perdu le sens. On pense la technologie comme une fin, pas comme un moyen. On empile les innovations, on annonce des levées de fonds, mais sur le terrain, dans les hôpitaux, on utilise encore des logiciels dignes de Windows 98. La fracture entre l’innovation de surface et la réalité du soin est immense. Et surtout, on parle de médecine augmentée, d’intelligence artificielle, mais on oublie l’essentiel : pourquoi soigne-t-on ? Pour qui ? Avec quelles conséquences humaines ? Moi, je suis un techno-humaniste. Je crois que la tech peut libérer du temps, de l’espace, de l’énergie. Mais seulement si elle est conçue pour servir l’humain, pas pour le remplacer ou le normer.

M.F : Tu parles souvent de “médecine intégrale” plutôt qu’intégrative. C’est quoi la différence ?

Dr J.W : La médecine intégrative, c’est important, mais c’est partiel. On ajoute de la sophrologie, de l’acupuncture, de la musique… pour améliorer le vécu des patients. C’est louable. Mais ça reste une approche centrée uniquement sur eux. La médecine intégrale, telle que je l’imagine, c’est un système qui prend soin de toutes ses parties : patients, soignants, aidants, institutions. On a des données qui montrent qu’un soignant en meilleure forme mentale et physique soigne mieux. Alors pourquoi ne pas en faire une priorité ? Une médecine qui néglige ceux qui la portent ne peut pas durer.

M.F : Tu te souviens de ton premier mur, dans ton projet avec Miroki ?

Dr J.W : Oh que oui. J’avais le robot, le financement, l’équipe. Tout. Et je me pointe au conseil d’administration de l’hôpital avec un pitch en béton. Réponse : “Non. Ce budget pourrait servir à embaucher trois infirmières.” J’étais sidéré. Je venais avec une solution concrète, innovante, prête à être testée… et on me disait non sans discussion. Heureusement, le directeur de l’hôpital, qui est médecin, a mis son veto. Il a compris. Sans lui, Miroki ne serait jamais entré dans une salle de radiothérapie. Aujourd’hui, ce robot change littéralement la manière dont les enfants vivent leurs soins.

M.F : Et quand tu doutes, tu fais quoi ?

Dr J.W : Je rembobine. Je me pose. J’écris. J’ai toujours un carnet avec moi. J’y note mes idées, mes intuitions, mes colères aussi. Et quand le doute arrive, je me replonge dedans. Je revis le pourquoi initial. Je me rappelle cette gamine qui pleurait tous les jours pendant ses séances. Et je me dis : c’est pour elle que tu fais ça. Pas pour briller, pas pour faire le malin, mais pour alléger une douleur. Retrouver le sens, c’est ma boussole.

M.F : Si on racontait ton histoire dans 20 ans, tu voudrais qu’on dise quoi de toi ?

Dr J.W : Que j’ai été utile. Que j’ai fait avancer des choses, pas forcément de manière spectaculaire, mais concrète. J’aime bien l’idée d’un épitaphe : “C’était un oncologue qui aimait la vie et la technologie, et qui s’en est servi pour rendre le monde meilleur.” C’est simple. Mais ce serait déjà énorme.

M.F : Tu penses avoir toujours été fidèle à toi-même ?

Dr J.W : Non. Mais je le deviens. Au début, j’étais fidèle à ce qu’on attendait de moi. À ce qu’on m’avait appris. À mes croyances d’alors. C’est l’oncologie qui m’a ramené à moi. Quand tu accompagnes des gens en fin de vie, tu fais leurs bilans de vie avec eux. Tu entends leurs regrets, leurs choix, leurs silences. Et forcément, tu te demandes : et moi ? Si c’était moi, je ferais quoi ? Petit à petit, j’ai arrêté de me conformer. J’ai commencé à oser. Aujourd’hui, je suis bien plus aligné avec ce que je suis. Mais le chemin est encore long. Et c’est là que j’en reviens à cette phrase qui résume beaucoup : “J’ai eu la chance de voir plein de gens mourir.” C’est choquant à première vue, mais c’est une chance rare. Accompagner les derniers instants d’une vie, c’est apprendre mille choses sur la tienne. Ces moments-là m’ont façonné. Ils m’ont appris à me poser les bonnes questions. À faire le tri. À devenir, peu à peu, fidèle à moi-même.

Mickael Lauffri

Passionné par l'innovation technologique et l'impact de la science sur la médecine, je suis rédacteur spécialisé dans le domaine des technologies médicales.

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