“Je ne me compromets jamais” : Emmanuelle Pierga, la communicante qui murmure à l’oreille des startups santé
À la tête de Tandem Com Santé, Emmanuelle Pierga accompagne les entrepreneurs de la e-santé comme on accompagne une cause. Refus des postures, lucidité tranquille, engagement assumé : portrait sans filtre d’une communicante qui replace l’humain au centre du récit.

Dans un secteur où l’on célèbre souvent la levée de fonds plus que la cohérence de vision, Emmanuelle fait figure d’exception. Fondatrice de Tandem Com Santé, elle accompagne les startups en santé avec une exigence rare : dire vrai, viser juste, rester aligné. Refusant les raccourcis et les effets d’annonce, elle défend une communication cousue main, enracinée dans l’expérience et le sens. À travers cet entretien, elle dévoile ce qui l’anime, ce qu’elle refuse, ce qu’elle veut réparer et pourquoi, en santé comme en communication, la justesse n’est jamais un détail.
Medtech France : Si on oublie les titres, les rôles, les mails… tu dirais quoi de toi, Emmanuelle ?
Emmanuelle Pierga : C’est l’exercice le plus difficile, vraiment. Je dirais que je suis une femme sincère, engagée, et qui a toujours essayé de rester fidèle à ses idéaux. Ça peut paraître un peu solennel, mais je me pose souvent cette question : “Qu’est-ce qu’on dira de moi à mon enterrement ?” Et je crois que j’aimerais qu’on dise ces trois mots-là : sincère, engagée, droite. Si on me reconnaît ça, alors j’aurai vécu alignée.
M.F : Et à ce titre, c’est quoi le détail que les gens remarquent rarement chez toi, mais qui fait aujourd’hui toute la différence ?
E.P : Je ne me compromets jamais. C’est très profond chez moi. Si je sens qu’un projet, une relation ou une collaboration ne correspond pas à mes valeurs, je préfère m’en éloigner. Pas dans le conflit, mais avec discrétion et respect. C’est une forme d’élégance, je l’espère. Ce n’est pas forcément visible tout de suite, mais les gens finissent par le percevoir.
M.F : Est-ce que tu t’es déjà sentie à contre-courant, pas à ta place ?
E.P : Oui, très souvent… dans ma vie de salariée. Le principe même du salariat, c’est de vendre son temps, et donc d’accepter une hiérarchie. Or, parfois, cette hiérarchie n’est pas alignée avec tes convictions. Et tu te retrouves à faire des choses qui, au fond, ne te ressemblent pas. Cette dissonance, je l’ai souvent ressentie. Et c’est précisément ce qui m’a poussée à entreprendre : pour redevenir pleinement actrice de mes choix.
M.F : Tu es passée de salariée à entrepreneuse. Tu penses qu’on t’écoute plus aujourd’hui à cause de ton métier ou de ta posture ?
E.P : Je pense qu’on m’écoute davantage à cause de mes convictions, pas à cause d’un statut. Ce que je dis est aujourd’hui nourri de mon expérience, et sans doute aussi d’une certaine maturité. J’ai choisi d’entreprendre tard, dans la dernière partie de ma vie professionnelle, et c’est un choix que j’assume à 100 %. Et je ne le regrette pas une seule seconde.
M.F : À quel moment, justement, tu as pris cette décision ? Qu’est-ce qui t’a fait dire “je veux créer quelque chose à moi” ?
E.P : Il y a eu trois éléments déclencheurs. D’abord, j’avais enfin la possibilité matérielle de prendre ce risque. Ensuite, j’avais assez d’expérience pour le faire, je me positionne aujourd’hui comme conseillère, et ça demande du recul. Et puis, soyons honnête, j’ai vu des gens beaucoup moins compétents que moi réussir dans l’entrepreneuriat. Je me suis dit : “S’ils y arrivent, pourquoi pas moi ?”
M.F : Aujourd’hui, tu es reconnue comme une experte de la communication en santé. Qu’est-ce qui te révolte dans la manière dont on en parle ?
E.P : Il y a au moins trois choses.
La première, ce sont les infox : des informations volontairement fausses, dans un secteur où la rigueur devrait être une base. C’est insupportable.
La deuxième, ce sont les incompétents : pas malveillants, mais mal formés, qui diffusent de l’info fausse parce qu’ils ne connaissent pas leur métier.
Et enfin, le rapport biaisé à l’argent. Oui, la santé est une économie. Mais elle est avant tout sociale. Le but, c’est de soigner, pas de générer du ROI à tout prix. Il faut remettre le patient et la santé au centre.
M.F : Tu es fondatrice de Tandem Comme Santé. C’est quoi pour toi, Tandem ? Une boîte ? Un espace ? Un lieu de parole ?
E.P : J’ai énormément de respect pour les agences, mais je ne me considère pas comme une agence de communication. Tandem, c’est un service cousu humain. J’ai créé une structure alignée avec ma manière de faire, de penser, d’accompagner. J’ai trop vu de startups livrées à elles-mêmes, notamment quand je travaillais chez Orange. J’ai voulu combler ce vide-là. Ce que je fais, c’est aider les startups santé, de manière adaptée à leurs besoins, à leurs contraintes, à leur réalité. C’est à la fois utile à la société… et ça me permet aussi de construire un chiffre d’affaires pérenne. Les deux sont compatibles.
M.F : Tu as déjà eu cette sensation de réussir à mettre en mots ce que d’autres n’arrivaient pas à exprimer ?
E.P : C’est même ce qui me fait vibrer. Je parle souvent de maïeutique, cette capacité à faire accoucher les idées des autres. Les idées ne viennent pas de moi, je les aide juste à émerger, à prendre forme, à devenir compréhensibles et visibles. C’est une joie immense de voir une startup se reconnaître dans ses propres mots, ceux qu’elle n’arrivait pas à formuler seule.
M.F : Monter une boîte, ce n’est pas toujours aussi fluide qu’on l’imagine. Tu te souviens de ton premier mur ?
E.P : Ce n’est pas un long fleuve tranquille, c’est vrai. Je suis aujourd’hui dans ma troisième année d’exercice. Au début, j’ai eu ce qu’on appelle “la chance de la débutante”. Et puis, un jour, mon chiffre d’affaires a chuté. Brutalement. Sans raison évidente. J’ai dû me poser, analyser, et surtout changer de stratégie. Je suis bretonne, alors je parle souvent de voile : il faut savoir tirer des bords. Quand le vent tourne, tu ajustes ta trajectoire. C’est ce que j’ai fait.
M.F : Et quand tu doutes, tu fais quoi ? Tu as un rituel, un réflexe, une phrase ?
E.P : Je me pose. Je réfléchis. Et j’en parle à mon mari. Il est précieux dans ces moments-là. Il a lui-même accompagné des entreprises, c’est un financier, il a ce recul que moi je n’ai pas toujours. Je ne fais pas forcément ce qu’il me dit (rires), mais je l’écoute. Et c’est un vrai soutien de l’avoir à mes côtés, surtout quand les choses sont floues.
M.F : Par rapport à tes valeurs, à Tandem, qu’est-ce que tu veux réparer ou amplifier avec ton activité ?
E.P : Je veux que Tandem soit un interlocuteur fiable pour les startups santé, surtout celles qui ne trouvent pas leur place ailleurs. J’en ai accompagné une quinzaine depuis que j’ai commencé, et chaque aventure est unique.
Ce que je veux réparer, c’est l’absence de présence humaine, d’écoute, de compréhension dans l’accompagnement. Et ce que je veux amplifier, c’est leur impact sociétal. Beaucoup de ces projets peuvent vraiment transformer les choses, mais ils ont besoin d’être portés, visibles, crédibles.
M.F : C’est quoi, selon toi, le vrai problème des startupers aujourd’hui ? En communication, mais aussi dans leur vision du marché ou du terrain ?
E.P : Ils ne sont pas seuls à faire cette erreur, mais… beaucoup pensent que communiquer, c’est savoir parler. C’est faux. La communication est une discipline stratégique, complexe, qui s’analyse. Et malheureusement, comme elle fait partie des “fonctions support”, certains pensent pouvoir s’en passer ou improviser.
Autre erreur : ils s’y prennent trop tard. Ils développent leur produit, leur techno, leur levée… et se disent ensuite : “Bon, maintenant il faut communiquer.” Mais à ce stade, il est souvent déjà trop tard pour poser les bases solides. Une bonne com’ se pense dès le début. C’est de la stratégie, pas de la cosmétique.
M.F : Si on racontait ton histoire dans 20 ans, tu voudrais qu’on dise quoi de toi ?
E.P : Que j’ai été utile à la société. C’est ambitieux, je sais. Mais c’est ce que je vise. Que ce soit pour un soignant, un entrepreneur, un patient… j’aimerais qu’on puisse dire : “Elle m’a aidé.” Et parfois, aider, c’est juste rendre un message plus clair, une vision plus audible, un projet plus crédible. Mais ça peut changer une trajectoire.
M.F : Et pour les soignants, spécifiquement, tu espères avoir eu quel impact ?
E.P : J’espère les avoir aidés aussi. Les soignants startuppers sont souvent dans une forme de solitude. Ils lancent un projet parce qu’ils ont vu un besoin dans leur pratique quotidienne. Mais ils se sentent isolés, incompris. Mon rôle, c’est de les accompagner dans cette transition, de leur permettre de structurer leur message, leur projet, leur ambition. Et parfois, ça les libère. Ça leur redonne confiance.
M.F : Tu penses qu’on peut encore réconcilier impact et vérité dans la communication santé ?
E.P : Oui, j’y crois. Ce n’est pas de la naïveté. Il y a des cercles vertueux qui émergent. J’étais à un événement récemment, et j’ai vu des dispositifs incroyables : des semelles pour diabétiques, des opérations non invasives sur les tissus mous, des innovations de terrain concrètes. Ces choses-là n’existaient pas il y a quelques années. Les startups changent la donne, vraiment. Et la communication peut les aider à faire entendre cette vérité-là.
M.F : Dernière question. Quand tu regardes tout ce chemin de salariée à fondatrice, de femme engagée à communicante en santé tu te dis que tu es restée fidèle à ce que tu es ?
E.P : C’est mon mantra : pas de compromission. Je me suis toujours engagée en cohérence avec mes convictions. Je suis déléguée régionale du collectif Femmes de santé, que j’ai rejoint dès le début, parce que je crois à l’égalité et à la santé des femmes. Je suis au conseil d’administration de la Fondation pour la recherche sur l’épilepsie, une maladie encore très mal comprise. Je soutiens SPS pour le bien-être des soignants. Et j’accompagne depuis longtemps le Festival de la Communication Santé.
Je fais attention à ne pas m’éparpiller. Quand je m’engage, je le fais pleinement. Et je crois que tout ça reflète bien ce que je suis.