Thérapies digitales : répondent-elles vraiment aux besoins des femmes ?
Les DTx conçues pour les femmes ouvrent des pistes inédites en santé, mais leur intégration reste incomplète, leur impact inégal. Professionnels, startups, financeurs : tous sont face à un même enjeu. La promesse tient-elle ses engagements sur le terrain ?

Les femmes ont longtemps été les grandes oubliées de la médecine. C’est aujourd’hui en partie dans le numérique que la réparation s’organise. Portées par un écosystème femtech en croissance rapide, les thérapies digitales conçues pour répondre aux spécificités féminines (endométriose, cycle menstruel, ménopause, santé mentale post-partum) se multiplient.
Le marché mondial de la santé numérique des femmes est estimé à 40,5 milliards de dollars en 2024, et devrait franchir la barre des 100 milliards d’ici 2032. En France, le baromètre 2025 de Femtech France dénombre 170 startups actives, avec un chiffre d’affaires cumulé de 42,8 millions d’euros, un bond de 30 structures en un an. L’élan est réel.
Sur le terrain, certaines thérapies numériques comme Lyv Endo s’attaquent de front à l’errance diagnostique. Dans l’endométriose, où le délai moyen de diagnostic atteint 7 à 10 ans, cette application certifiée Dispositif Médical Numérique CE classe I,propose une approche multidisciplinaire combinant éducation, bien-être, nutrition et vie intime. Les résultats intermédiaires de l’étude clinique présentée au Congrès mondial de l’endométriose 2023 vont dans le bon sens : amélioration de la qualité de vie, réduction des douleurs, meilleure autonomie.
L’innovation avance, mais les usages restent fragmentés
Si les DTx féminines se développent, leur utilisation massive se heurte à des réalités concrètes. Premier frein : la fracture numérique. Une étude IPSOS/EDHEC de 2024 souligne que les femmes les plus exposées aux pathologies chroniques (plus de 55 ans, inactives, peu diplômées) sont aussi celles qui ont le moins accès aux outils connectés. Pour beaucoup, la méfiance reste forte : « Le fait d’ignorer où et comment ces données sont stockées suscite une défiance légitime », alerte Loick Menvielle, professeur à l’EDHEC.
Deuxième frein : l’intégration dans les parcours. Si le dispositif PECAN ouvre une porte au remboursement, les démarches restent longues et complexes. L’accompagnement terrain fait encore défaut. En pratique, de nombreuses femmes se tournent vers ces outils seules, sans recommandation du médecin traitant, sans support de suivi, et parfois sans repère sur leur efficacité réelle.
Enfin, il y a l’enjeu de crédibilité : selon le baromètre Femtech France, seulement 4 % des startups dépassent les 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, et les porteurs de projets peinent à convaincre les investisseurs. La femtech reste perçue comme un “marché de niche”, malgré les chiffres qui disent l’inverse.
Représenter toutes les femmes : le défi des études et des algorithmes
Derrière les beaux chiffres, un angle mort persiste : la représentativité clinique. Les femmes ont longtemps été exclues ou sous-représentées dans les essais cliniques traditionnels. Cette réalité se reproduit dans les évaluations des DTx. Une revue systématique des essais de thérapies digitales révèle un déficit d’inclusion des profils variés femmes racisées, âgées, en situation de précarité ou en zone rurale. Résultat : des outils conçus pour “les femmes” mais testés sur une minorité d’entre elles.
Ce biais impacte directement la validité des recommandations algorithmiques. Or, les DTx promettent une personnalisation accrue : adaptation du rythme de soin, contenus modulables, retours en temps réel. Encore faut-il que l’intelligence embarquée repose sur des données réellement diversifiées.
Sur ce point, les acteurs commencent à réagir. Certaines startups comme Inne, spécialisée dans le suivi hormonal sans hormone, intègrent dès la conception des critères d’inclusivité, de transparence des données, et de gouvernance éthique. Mais l’effort reste marginal, et les financements publics ou privés dédiés à l’évaluation de ces enjeux sont encore timides.
Un virage stratégique : du supplément au socle des soins
À horizon 2028, le marché mondial des DTx atteindrait 9 milliards d’euros. Mais ce chiffre cache un enjeu plus profond : celui de l’ancrage dans les pratiques médicales.
Aujourd’hui, la plupart des DTx à destination des femmes fonctionnent comme des solutions « à côté » du soin. Pour franchir un cap, il faudra :
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Faciliter leur prescription en ville, notamment par les sages-femmes, généralistes et gynécologues.
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Inclure ces outils dans les parcours protocolisés, avec intégration directe dans le DMP ou Mon Espace Santé.
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Simplifier les référentiels de remboursement, en étendant le dispositif PECAN ou en imaginant un PECAN dédié à la santé des femmes.
Comme le souligne Pauline d’Orgeval (Deuxième Avis) : « Pendant longtemps, les douleurs de règles étaient vues comme normales. Il a fallu du temps pour reconnaître que c’était une vraie pathologie. Les DTx permettent d’accélérer cette prise de conscience à condition d’être accessibles. »
Un tournant politique et culturel encore à construire
L’avenir des DTx féminines ne dépend pas seulement de la technologie, mais du cadre dans lequel elle s’inscrit. Christel Bony (FemTech France) insiste : « Ces startups sont à 96 % créées par des femmes. Mais les investisseurs doutent encore de la maturité du marché. » Pourtant, les patientes en demandent, les premiers résultats cliniques sont positifs, et les solutions existent.
Il est temps d’un changement de paradigme. Un soutien politique plus marqué à l’image du fonds régional annoncé en Île-de-France, une simplification des accès au marché, et un appui scientifique plus solide seraient des catalyseurs puissants.
Une opportunité à saisir, pas un marché à décorer
Les thérapies digitales à destination des femmes ne sont pas un supplément d’âme. Elles s’attaquent à des angles morts médicaux historiques, structurent un écosystème porteur et permettent une meilleure personnalisation des soins.
Mais elles ne tiendront leur promesse que si elles s’ancrent dans les usages réels : celles des médecins, des sages-femmes, des pharmaciens et des patientes, au quotidien. Sortir de la méfiance, simplifier l’accès, et garantir leur efficacité clinique dans la vraie vie c’est à ces conditions que les DTx deviendront enfin des soins à part entière pour toutes les femmes.