« Penser une innovation est une chose, la réaliser en est une autre ». Guillaume Blivet veut changer la vie des patients atteints de troubles neurologiques

De la fascination pour la lumière thérapeutique aux défis réglementaires européens, Guillaume Blivet raconte comment REGEnLIFE tente de faire passer une innovation médicale pionnière du laboratoire au lit du patient, sans céder aux raccourcis ni aux effets de mode.

Certains mots finissent par perdre de leur force à force d’être répétés. « Innovation » en fait partie. Guillaume Blivet, Directeur Innovation et co-fondateur de REGEnLIFE, préfère l’ancrer dans la réalité : penser une idée est une étape, la transformer en solution validée scientifiquement et accessible aux patients en est une autre. Son terrain de jeu ? La photobiomodulation cérébrale, une approche non-invasive qui pourrait offrir de nouvelles perspectives aux patients atteints de maladies neurologiques comme Alzheimer ou la dépression.

Medtech FranceQuand vous entendez le mot “innovation” dans une réunion, êtes-vous de ceux qui lèvent les yeux au ciel ou qui prennent un carnet pour noter ?

Guillaume Blivet : Ni l’un ni l’autre, en fait. Avant tout, j’écoute attentivement pour comprendre dans quel contexte ce mot « innovation » est utilisé. S’il est pertinent et s’appuie sur du concret, alors oui, je prends des notes. Sinon, je reste prudent car c’est un mot qu’on entend souvent et qui mérite d’être soutenu par du sens et des actions. Et puis penser une innovation est une chose, la réaliser en est une autre.

M.F : Votre parcours ne vous destine pas nécessairement à travailler sur le cerveau et la photobiomodulation. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce détour ou ce choix ?

G.B : C’est vrai que rien, a priori, ne me prédestinait à travailler sur le cerveau et la photonique. Mais la vie nous réserve parfois des surprises et nos rencontres façonnent notre parcours. J’ai découvert les technologies de photothérapie à travers des échanges avec des dermatologues lors de congrès. J’ai été fasciné par les résultats qu’ils obtenaient, notamment sur certaines pathologies cutanées et la cicatrisation. Parmi ces techniques figuraient la photobiomodulation, qui utilise le proche infrarouge en application sur les tissus biologiques pour moduler l’activité cellulaire et obtenir des effets thérapeutiques.

En explorant davantage, j’ai rencontré plusieurs acteurs du secteur, et c’est dans ce contexte que j’ai co-fondé REGEnLIFE en 2016. En me plongeant dans la littérature scientifique, j’ai découvert les premières publications en neurosciences sur les applications de photobiomodulation transcrânienne (en application non-invasive sur la surface du crâne) et je n’arrêtai pas d’y penser. C’est une approche encore émergente comparée à la TMS (stimulation magnétique transcrânienne) ou la tES (stimulation électrique transcrânienne).

Ayant une formation initiale en santé publique, j’ai vu là une opportunité unique : développer une neurotechnologie non-invasive pour des maladies où les options thérapeutiques sont très limitées. La maladie d’Alzheimer qui touche des dizaines de millions de patients dans le monde, s’est imposée comme une évidence, au vu de son impact humain, sociétal et économique. Si un traitement efficace, sans effets indésirables et accessible pouvait exister, cela changerait profondément la donne.

En dirigeant l’entreprise au départ, J’ai été amené, dès son lancement, à piloter la R&D et l’innovation. Même si je n’étais pas spécialiste du domaine, ma curiosité et mon envie d’apprendre m’ont permis de monter en compétence. J’ai aussi apprécié à travailler dans une dynamique pluridisciplinaires : sciences physiques, ingénierie, neurosciences, neurologie, etc. et partager d’autres compétences avec mes associés co-fondateurs. J’ai aussi eu la chance de croiser le chemin du Pr Jacques Touchon, spécialiste de renommée internationale de la maladie d’Alzheimer, qui est devenu notre conseiller scientifique, et aujourd’hui président de notre conseil scientifique. Il a été un mentor précieux pour moi, et j’ai énormément appris à ses côtés.

M.F : Est-ce que vous avez un rituel (lecture, sport, habitude de pensée) qui vous aide à “fabriquer” de la clarté quand le brouillard technologique s’épaissit ?

G.B : Oui, j’ai quelques habitudes qui m’aident à retrouver de la clarté quand les choses deviennent complexes. Ayant partagé ma vie pendant quelques années avec une personne originaire de Mumbai, ça m’a donné la chance de voyager en Inde et de découvrir la méditation Vipassana, l’une des plus anciennes formes de méditation, à l’origine de la mindfulness. Même si je ne la pratique qu’occasionnellement, elle m’a laissé des réflexes cognitifs utiles pour prendre du recul et apaiser mon mental. Au-delà de ça, la marche, la salle de sport, le yoga ou encore l’escalade m’aident à rester focus et à éviter que le brouillard ne s’installe.

M.F : Vous parlez de photobiomodulation cérébrale, une technologie encore peu familière aux médecins. Comment éviter l’étiquette “pseudo-science” tout en restant pionnier ?

G.B : La photobiomodulation transcrânienne est encore peu connue des médecins, et c’est justement pour cela que la démarche scientifique est indispensable. Au sein de REGEnLIFE, nous développons une technologie pionnière, à la fois par son approche et par sa conception. Nous sommes aujourd’hui en bonne voie pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché du premier dispositif médical de neurostimulation basé sur la photobiomodulation. Notre configuration optique tri-photonique est spécifiquement pensée et adaptée à une stimulation cérébrale efficace et sûre.

Dès le départ, nous avons adopté une démarche scientifique rigoureuse. À ma connaissance, nous sommes les premiers à développer un traitement qui cible à la fois le cerveau et l’intestin pour les affections neurologiques, en nous appuyant sur les avancées autour de l’axe cerveau-intestin. Nos résultats précliniques montrent d’ailleurs que cette double exposition (tête pour cibler le cerveau et abdomen pour cibler l’intestin) produit des effets thérapeutiques supérieurs, que ce soit sur des modèles de maladie d’Alzheimer, de dépression ou encore de sclérose en plaques.

Ce travail rigoureux, en collaboration avec des institutions comme le CNRS, l’Inserm, des universités et des CHU, nous a permis d’être reconnus au sein de la communauté scientifique et médicale. Nos publications, comme celles d’autres équipes de recherche, contribuent à légitimer ce champ et à démontrer que la photobiomodulation transcrânienne mérite une attention sérieuse, comme d’autres techniques de stimulation cérébrale non-invasive d’ailleurs.

Cela dit, il existe effectivement des pratiques discutables : des dispositifs vendus sur internet, sans base scientifique ni conformité technique, qui revendiquent des effets non validés. Ce type de dérives alimente la méfiance, et c’est compréhensible. Mais ce n’est pas notre approche.

Je pense souvent à cette citation attribuée à Schopenhauer : « Toute vérité passe par trois étapes : d’abord elle est ridiculisée, ensuite elle est violemment combattue, et enfin, elle est acceptée comme une évidence. » Je crois que cela s’appliquera à la photobiomodulation aussi, à condition de le démontrer, progressivement, par la démarche scientifique.

M.F : Chez Regenlife, quelle est la conviction que vous défendez bec et ongles… mais qui pourrait diviser même dans votre propre équipe ?

G.B : Dans REGEnLIFE, je défends avec conviction l’idée que notre neurotechnologie doit être développée dans les règles de l’art scientifique et médicale pour qu’elle soit reconnue, crédible, et surtout accessible aux patients. Pour une innovation thérapeutique aussi disruptive, sans équivalent sur le marché, cela signifie emprunter un chemin long, risqué et coûteux… mais je suis convaincu que c’est la seule voie responsable et durable. Cette exigence m’a parfois placé en tension avec certaines attentes stratégiques, notamment au sein du board. A un moment, le désaccord était tel que j’ai envisagé de quitter l’entreprise… Finalement, on m’a rappelé, et nous avons su trouver un équilibre. Mais oui, cette vision peut diviser, car elle demande du temps, de la rigueur, et parfois de renoncer à la facilité.

M.F : Vous dites vouloir améliorer la vie des patients atteints de troubles neurologiques. Mais dans la pratique, qu’est-ce qui est le plus difficile : obtenir une validation scientifique ou convaincre les cliniciens ?

G.B : En réalité, le plus difficile aujourd’hui, ce n’est ni d’obtenir une validation scientifique, ni de convaincre les cliniciens. Ce qui freine le plus, c’est l’application du nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux (MDR). Ce règlement, pourtant conçu pour renforcer la sécurité, est devenu un véritable frein à l’innovation, en particulier pour les start-up et les PME de la MedTech. Beaucoup d’acteurs peinent à tenir, certains ferment, et lever des fonds devient encore plus complexe car les investisseurs sont eux aussi impactés et au final les patients encore plus… Pour donner un exemple concret : si nous avions développé notre technologie thérapeutique – qui présente pourtant un excellent profil de sécurité et surtout au regard des alternatives en neurologie – sous l’ancien règlement (MDD), nous serions déjà sur le marché européen. Aujourd’hui, il faut redoubler d’efforts pour aller au bout, malgré les obstacles. Avec notre détermination, nous tenons le cap !

M.F : Vous avez opté pour une technologie non-invasive, avec un design épuré. Jusqu’où l’ergonomie et l’expérience utilisateur pèsent-elles dans vos décisions d’innovation ?

G.B : L’expérience utilisateur est évidemment essentielle, qu’il s’agisse du patient ou du professionnel de santé qui administre le traitement. Mais notre priorité absolue reste la sécurité et l’efficacité thérapeutique. Cela guide toutes nos décisions d’innovation.

Cela dit, nous accordons une grande attention au design et à l’ergonomie, car un dispositif bien conçu facilite l’adhésion au traitement et améliore l’usage au quotidien. Toutefois, le nouveau règlement européen (MDR) limite considérablement notre capacité à itérer rapidement. La moindre évolution, même mineure, implique une charge administrative et documentaire très lourde, ce qui freine l’agilité pourtant nécessaire à une vraie démarche centrée utilisateur et à l’innovation médicale en général.

M.F : Enfin, si vous deviez résumer en une phrase la “bataille” que vous menez chez Regenlife, sans éléments marketing : que diriez-vous ?

G.B : Notre « bataille », au sein de REGEnLIFE, c’est d’apporter un traitement technologique innovant, efficace, scalable, accessible en termes de coûts, non-invasif, avec peu ou pas d’effets indésirables tout en étant compatible avec d’autres approches. Ceci, afin de s’inscrire dans une vision combinée de la thérapie. Nous croyons profondément à l’intérêt d’associer différentes modalités : traitements médicaux, activité physique, nutrition, soutien psychologique et social, etc. C’est d’autant plus vrai en santé mentale, un domaine auquel nous contribuons aussi, car le traitement de la dépression fait aussi partie de notre pipeline thérapeutique. À ce titre, j’ai d’ailleurs été nommé ambassadeur de la fondation THE REAL Mental Health, qui vise à améliorer la santé mentale de 10 millions de personnes d’ici 2030. En parallèle, j’ai participé à Davos, durant le forum économique mondial 2025, à la Brain House et à la Social Innovation House où les question de santé mentale et neurologique étaient discutées. La santé mentale et la santé du cerveau ont été considérées comme une « top priority ». Mon point de vue est que nous avons besoin de changements sociétaux majeurs pour créer plus d’innovation, de cohésion sociale et de créer une culture de la pratique sportive. C’est indispensable pour favoriser la santé mentale et cognitive, penser clairement et nous montrer plus robuste face à notre monde qui change.

Mickael Lauffri

Passionné par l'innovation technologique et l'impact de la science sur la médecine, je suis rédacteur spécialisé dans le domaine des technologies médicales.

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