IA santé : où les milliards se sont investis en 2025 ?
L’IA en santé a capté 62 % des financements numériques mondiaux. Entre burnout, data et ROI, les milliards changent enfin le soin réel.
L’année où l’IA a quitté les PowerPoint pour entrer dans les hôpitaux
Pour les professionnels de santé, 2025 marque un tournant. L’intelligence artificielle n’est plus un sujet de congrès ou un rêve de start-upers : elle s’installe dans le quotidien des soins.
Et l’argent le prouve. Sur les neuf premiers mois de l’année, le financement global de la santé numérique a atteint 20,6 milliards de dollars. L’IA en a raflé plus de la moitié, captant à elle seule 62 % des investissements mondiaux en capital-risque. Soit près de quatre milliards de dollars pour les seules jeunes pousses IA santé aux États-Unis.
Un contraste saisissant, alors même que les autres secteurs du numérique médical connaissent un ralentissement. Là où les fonds se font prudents, l’IA continue d’attirer les chèques à neuf zéros. Trente-huit tours de table ont dépassé les 100 millions de dollars sur les neuf premiers mois de 2025, avec des montants inédits pour Hims & Hers (1 milliard) ou Isomorphic Labs (600 millions). Ces mégarondes confirment un changement de paradigme : l’IA ne promet plus, elle délivre.
L’IA au service du temps médical
Le cœur de cette vague, c’est la documentation clinique. En 2025, l’IA générative ne se contente plus de rédiger des poèmes ou des mails : elle écrit les comptes rendus médicaux. Des outils dits “ambiants” écoutent la consultation, transcrivent et remplissent le dossier patient pendant que le praticien parle.
Abridge, née à Philadelphie, a ouvert la voie avec 250 millions de dollars levés en février, puis 300 millions supplémentaires en juin. Aujourd’hui, plus de cent systèmes de santé américains déploient sa technologie, avec des taux d’adoption qui grimpent jusqu’à 90 % chez certains groupes médicaux. Les médecins utilisateurs rapportent un gain moyen de quatre à six heures par semaine. Autant de temps rendu au soin réel.
La française Nabla suit la même trajectoire, mais avec sa touche européenne : levée de 70 millions de dollars, revenus multipliés par cinq en six mois et un déploiement à grande échelle auprès de 85 000 cliniciens. Sa force ? Des “agents IA” capables non seulement de documenter, mais aussi d’agir dans les dossiers médicaux. Le praticien parle, le logiciel non seulement écoute, mais exécute.
Même logique pour Innovaccer, installée à San Francisco, qui a levé 275 millions de dollars pour relier analyse de données, orchestration de soins et performance financière. Ces trois acteurs partagent la même conviction : si l’IA sert le praticien avant le gestionnaire, elle s’impose d’elle-même.
De la molécule au scanner : l’IA clinique s’enracine
L’autre versant de cette croissance se joue dans la recherche et le diagnostic. Isomorphic Labs, filiale d’Alphabet, a levé 600 millions pour accélérer la découverte de médicaments. Insilico Medicine, de son côté, a franchi une étape historique : son candidat antifibrose pulmonaire, Rentosertib, a atteint des résultats cliniques significatifs en douze mois, un cycle habituellement long de six ans.
Dans l’oncologie, Tempus AI a levé 300 millions de dollars avant de racheter Paige, spécialiste de la pathologie numérique. Le rapprochement de ces deux entreprises symbolise une nouvelle ère : l’imagerie et les algorithmes ne font plus qu’un, accélérant la correspondance entre le profil patient et le traitement le plus efficace.
La radiologie n’est pas en reste. Aidoc, pionnier du secteur, a obtenu 150 millions de dollars d’investissement stratégique en septembre 2025. Ses outils détectent désormais des anomalies des années avant l’apparition des premiers symptômes. Et GE Healthcare a bouclé l’acquisition d’Icometrix, société belge experte en IRM cérébrale, pour muscler sa stratégie IA diagnostique. En 2025, l’IA ne rôde plus aux marges du soin : elle s’y installe.
Nouvelles priorités : santé mentale, obésité, santé des femmes
Autre signe fort : les investisseurs réévaluent leurs priorités. L’argent va là où la demande médicale explose.
La santé mentale reste la première bénéficiaire, avec 682 millions de dollars levés sur le premier semestre 2024. Suivent les technologies dédiées à la gestion de l’obésité (261 millions) et à la santé reproductive ou maternelle (214 millions). Ces segments, longtemps considérés comme “de niche”, trouvent désormais leur modèle économique, dopé par les traitements GLP-1 et la montée des approches personnalisées.
L’Europe avance, la France structure
Si les États-Unis dominent toujours les mégalevées, l’Europe n’est pas absente. Sur les neuf premiers mois de 2025, 13,9 milliards de dollars ont été investis dans l’IA santé sur le continent, dont 40 % d’origine américaine. La dépendance financière reste forte, mais les gouvernements commencent à réagir.
En France, le plan “Osez l’IA”, lancé le 1er juillet 2025, donne le ton. Objectif : former 500 000 soignants à l’usage de l’IA et injecter 250 millions d’euros dans les innovations médicales d’ici à la fin de l’année. Une dynamique publique qui porte déjà ses fruits : plus de la moitié des jeunes pousses françaises en e-santé intègrent désormais des briques d’IA.
Le succès de Nabla illustre cette montée en compétence : une start-up née à Paris, capable de séduire des investisseurs internationaux tout en s’enracinant dans un usage clinique européen.
Le retour du réalisme économique
Les chiffres du rapport Bain & Company / KLAS Research, publiés en juillet 2025, confirment la tendance : sept hôpitaux sur dix et huit assureurs sur dix disposent désormais d’une stratégie IA formelle.
Et les priorités ne sont plus le “waouh” technologique, mais le retour sur investissement. Les organisations ayant intégré l’IA dans leurs processus critiques rapportent une baisse moyenne de 22 % de leurs coûts opérationnels.
L’IA devient un levier économique avant tout. Elle ne se vend plus par la promesse, mais par la preuve.
Ce réalisme financier change la donne. Les projets pilotes, longtemps vitrine des start-up, laissent place à des déploiements réels. Et quand les bénéfices cliniques se mesurent à l’échelle du service, l’adoption s’accélère sans résistance. L’IA est désormais une infrastructure, pas une expérimentation.
Du buzz à la preuve : un nouveau normal
En 2025, trois axes structurent le paysage. D’abord, l’automatisation des tâches : c’est la promesse tenue de rendre du temps médical, et de réduire la charge administrative qui épuise les soignants. Ensuite, le diagnostic assisté par IA, où les résultats dépassent le stade du prototype. Enfin, l’infrastructure de données, invisible mais essentielle, qui relie les briques entre elles.
Les gagnants de l’année – Abridge, Nabla, Innovaccer, Isomorphic Labs – partagent un même ADN : une technologie adoptée, des preuves mesurables et une intégration réelle dans les flux de soins.
Pour les professionnels, la question n’est plus de savoir si l’IA va transformer la pratique, mais combien de temps encore ils pourront exercer sans elle. L’année 2025 marque le basculement entre la promesse et la preuve.
Les milliards suivent désormais l’usage réel, pas les discours. Et c’est peut-être la meilleure nouvelle pour ceux qui soignent autant que pour ceux qui investissent.
