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Comment anticiper les obligations de l’EEDS tout en continuant à innover ?

Interopérabilité, cybersécurité, sandboxes : de nouveaux outils pour sécuriser et accélérer les projets e-santé.

L’entrée en vigueur du règlement EEDS d’ici 2027 transforme en profondeur le cadre réglementaire européen pour les données de santé. Comprendre les nouveaux outils comme les sandboxes réglementaires, l’accès précoce ou la certification itérative devient stratégique : éviter les sanctions, maintenir l’innovation, sécuriser les projets. Voici ce que vous devez savoir — maintenant.

Interopérabilité et cybersécurité : l’Europe change de braquet

Avec l’adoption du règlement (UE) 2025/327 sur l’Espace Européen des Données de Santé (EEDS), l’Union européenne ne se contente plus de déclarations d’intention. Elle fixe un cadre juridiquement contraignant pour construire un véritable marché unique de la donnée de santé, où les systèmes devront, enfin, se comprendre d’un pays à l’autre.

Ce tournant impose à tous les acteurs — hôpitaux, éditeurs, fabricants — de s’aligner sur un référentiel commun, à la fois technique et sémantique. Fini les formats maison ou les APIs propriétaires : seuls seront acceptés les standards définis par Bruxelles. En pratique, cela signifie la généralisation du format FHIR R4 pour les flux, du XML structuré pour les comptes rendus, et l’obligation d’intégrer des terminologies médicales comme SNOMED CT ou LOINC. Tous ces échanges transiteront par MyHealth@EU, le hub d’interopérabilité central déployé par la Commission européenne.

Mais cette ouverture des systèmes ne va pas sans contrepartie. Le règlement EEDS renforce considérablement les exigences de cybersécurité. Il impose un chiffrement de bout en bout reposant sur des algorithmes dits post-quantiques, une traçabilité immuable des accès, ainsi que des tests d’intrusion réguliers réalisés par des prestataires certifiés. Le ton change également sur les sanctions : une entreprise non conforme pourra se voir infliger jusqu’à 4 % de son chiffre d’affaires mondial, voire perdre le marquage CE de ses dispositifs.

Ce cadre, rigide en apparence, est aussi une opportunité. Il établit des règles du jeu unifiées pour tous les pays membres et pose les bases d’une confiance numérique à l’échelle européenne — une condition clé pour faire émerger des innovations réellement transfrontalières.

Un défi technico-réglementaire… mais une opportunité de structuration

Pour les hôpitaux, les éditeurs, les fabricants de dispositifs médicaux, la marche est haute. Une estimation réalisée sur l’AP-HP évalue le coût moyen de mise en conformité à 2,8 millions d’euros par établissement.

Mais derrière cette apparente complexité se cache une réalité :

💡 Les acteurs qui anticipent le mieux ces changements prennent une longueur d’avance sur le marché européen.

L’harmonisation réglementaire offre en effet une porte d’entrée unique vers 450 millions de patients et un accès facilité aux données secondaires pour l’entraînement des IA et le suivi post-market.

La régulation agile comme boussole : des outils pour innover sans crainte

Face à la montée en complexité des normes, l’Europe comme la France déploient des outils de “régulation agile”. Leur principe ? Accompagner l’innovation au lieu de la freiner.

Les “sandboxes” réglementaires

Déjà utilisées dans le secteur financier, les sandboxes permettent aux startups et industriels de tester leurs innovations en conditions réelles tout en bénéficiant d’un accompagnement étroit des autorités.

En France, l’ARS Île-de-France et la Délégation au Numérique en Santé préparent actuellement un cadre pilote inspiré de cette logique. L’intérêt ? Prototyper des dispositifs IA, des logiciels métiers ou des interfaces connectées sans attendre la certification finale.

L’accès précoce au marché numérique

Sur le modèle des dispositifs médicaux d’exception ou de l’accès compassionnel, plusieurs pays, dont la France et l’Allemagne, expérimentent des voies d’autorisation temporaire pour des solutions numériques à fort impact clinique.

Objectif : accélérer l’adoption terrain tout en récoltant des données d’usage, essentielles à la validation réglementaire complète.

La certification itérative (ou continue)

Plutôt que d’imposer une validation “one-shot” au moment de la mise sur le marché, le modèle de l’EEDS encourage une logique de certification évolutive.

Les fabricants devront :

  • Publier des mises à jour de sécurité toutes les 6 semaines,
  • Maintenir les anciennes versions pendant 5 ans,
  • Intégrer un monitoring post-market en temps réel.

Cela pousse les industriels à adopter des méthodes DevSecOps, à renforcer les cycles qualité et à intégrer la conformité dès la conception.

Interopérabilité et sécurité : un équilibre instable

Ouvrir les systèmes pour les rendre interopérables, c’est aussi élargir mécaniquement la surface d’exposition aux attaques. En facilitant la circulation des données de santé à l’échelle européenne, l’EEDS fait entrer les établissements et industriels dans un nouveau paysage de risques.

Pour y répondre, le règlement mise sur une combinaison de mesures de protection avancées : segmentation stricte des réseaux, authentification multifacteur renforcée, évaluation dynamique du risque à chaque accès. Des garde-fous technologiques indispensables, certes, mais insuffisants à eux seuls.

Car dans les faits, plusieurs zones d’ombre subsistent. À commencer par la fédération des identités numériques entre États membres, encore largement incomplète et hétérogène. La gestion transfrontalière des clés de chiffrement, élément critique pour garantir la confidentialité, n’est pas encore harmonisée. Et en cas de faille majeure, la coordination des réponses incidentes reste dépendante de procédures nationales, souvent disparates.

Autant de flous juridiques et opérationnels qui alimentent l’incertitude des industriels, en particulier ceux qui s’apprêtent à lancer des dispositifs connectés à dimension européenne. Dans ce contexte, seuls les acteurs ayant anticipé ces tensions — en structurant leur gouvernance de la sécurité, en diversifiant leurs partenaires cloud ou en intégrant des composants souverains — seront capables de maintenir le cap sans y laisser leur réputation, ni leur marquage CE.

Ce que doivent faire les professionnels dès maintenant

Le compte à rebours a commencé. Avec une entrée en vigueur du règlement dès mars 2025 et une obligation de conformité pour les nouveaux dispositifs d’ici mars 2027, les professionnels de la santé numérique n’ont plus le luxe d’attendre. L’échéance peut sembler lointaine, mais en réalité, elle impose un travail de fond immédiat.

Dans les directions innovation, conformité ou DSI, les audits de conformité doivent être enclenchés sans délai pour cartographier les écarts entre les solutions existantes et les exigences de l’EEDS, en matière d’interopérabilité comme de cybersécurité. Ce diagnostic est la première étape indispensable pour prioriser les actions à mener.

Parallèlement, les choix technologiques deviennent stratégiques. Identifier des partenaires techniques capables de garantir une compatibilité native avec les standards européens (FHIR R4, SNOMED CT, etc.) est un levier essentiel pour limiter les surcoûts de migration ou les délais de développement.

Mais la conformité ne se limite pas aux machines. Elle implique aussi une montée en compétence rapide des équipes. Développeurs, chefs de produit, responsables sécurité ou support client doivent être formés aux nouvelles normes, à la fois techniques et organisationnelles. Car l’interopérabilité, demain, ne sera plus un “plus” mais une obligation contractuelle.

Enfin, pour les acteurs qui veulent transformer la contrainte réglementaire en avantage compétitif, l’étape suivante consiste à lancer dès maintenant des expérimentations dans des environnements réglementaires contrôlés — ces fameuses “sandboxes” ou programmes d’accès précoce. C’est le seul moyen d’intégrer l’innovation dans un cadre conforme, évolutif et reconnu par les autorités

Les gagnants seront les plus rapides à comprendre la règle du jeu

L’EEDS et les outils de régulation agile ne sont pas des freins. Ils constituent une réécriture des règles du marché européen, avec à la clé :

  • Une meilleure confiance dans les solutions de santé numérique,
  • Un accès facilité aux données secondaires,
  • Une sécurisation des innovations les plus sensibles.
  • Ceux qui sauront naviguer entre conformité et agilité seront les mieux placés pour capter la croissance à venir.

Le bon réflexe ? Ne pas attendre que la règle tombe : l’anticiper, la comprendre, l’intégrer dès la conception produit.

À ce stade, il ne s’agit plus de choisir entre régulation et innovation : il faut apprendre à jouer avec les deux. L’EEDS, tout comme les sandboxes, l’accès précoce ou la certification itérative, ne sont pas des obstacles mais des leviers. Mieux : ils redessinent le terrain de jeu pour celles et ceux qui veulent construire des solutions robustes, interopérables, prêtes à s’intégrer dans un système de santé européen plus connecté, plus exigeant, mais aussi plus ambitieux.

Dans cette nouvelle donne, les retardataires ne seront pas pénalisés — ils seront simplement écartés. Les acteurs qui réussiront ne seront pas forcément les plus gros, mais les plus lucides : ceux qui auront compris que le temps réglementaire n’est plus un frein à l’innovation, mais une composante de sa réussite.

Alors que les lignes directrices finales sont attendues pour 2025, et que la mise en conformité complète est fixée à 2031, la fenêtre de tir se referme vite. Raison de plus pour transformer la règle en ressource, et faire de la conformité non pas un coût, mais un avantage concurrentiel durable.

Mickael Lauffri

Passionné par l'innovation technologique et l'impact de la science sur la médecine, je suis rédacteur spécialisé dans le domaine des technologies médicales.
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