Franchir le mur réglementaire européen des DTx : mode d’emploi pour survivre et croître

Développer une thérapie numérique en 2025, ce n’est plus seulement coder une application et convaincre des cliniciens. C’est aussi et surtout anticiper un parcours réglementaire long, coûteux, semé d’incertitudes. Et vital.

Car sans marquage CE, pas de marché européen. Sans preuve clinique solide, pas de PECAN. Sans compréhension du RGPD ou de l’IA Act, pas de confiance. Pour les fondateurs de DTx, la conformité est devenue un passage obligé, souvent sous-estimé, qui peut faire ou défaire toute une trajectoire. Cet article décrypte ce qui a changé depuis le MDR, les écueils les plus fréquents, et les leviers pour transformer une contrainte en atout stratégique.

MDR 2017/745 : un changement de paradigme pour les logiciels thérapeutiques

Depuis l’entrée en vigueur du règlement européen MDR en mai 2021, le paysage réglementaire des dispositifs médicaux numériques a basculé. Finies les auto-déclarations en Classe I pour une majorité d’applications. Les DTx sont désormais majoritairement classées en Classe IIa voire IIb, selon leur impact sur les décisions médicales. Ce saut de catégorie impose une certification par un organisme notifié, une documentation technique détaillée, un système de management de la qualité robuste et une évaluation clinique solide.

La règle 11 du MDR, souvent méconnue, est devenue centrale. Elle définit la classification des logiciels médicaux selon le niveau de risque. Un outil de suivi simple reste en Classe I. Mais une application qui influence un diagnostic ou un traitement bascule rapidement en Classe IIa, voire plus si le risque lié à une erreur est jugé élevé. Autrement dit, 90 % des DTx en développement doivent aujourd’hui engager une procédure complexe de certification. Cette reclassification a été détaillée dans cet article de Medtech France sur les défis du MDR, qui revient sur les impacts concrets pour les fabricants de dispositifs médicaux, y compris numériques.

RGPD, HDS et EUDAMED : une traçabilité totale des données de santé

Outre le marquage CE, les développeurs doivent intégrer dès la phase R&D les obligations liées à la protection des données. En France, cela implique de respecter le RGPD, de désigner un DPO, et de s’assurer de l’hébergement HDS des données collectées. Une DTx sans conformité RGPD ne peut tout simplement pas être déployée en conditions réelles, même à visée d’expérimentation.

Et ce n’est pas tout. À partir de janvier 2026, la base de données européenne EUDAMED deviendra obligatoire. Les fabricants devront s’enregistrer, obtenir leur identifiant unique (SRN), déclarer chaque dispositif via un identifiant UDI, et gérer leur surveillance post-commercialisation directement dans les modules dédiés. Une couche administrative supplémentaire, mais indispensable pour exister sur le marché européen. Ce chantier de traçabilité numérique s’inscrit dans une logique plus large, abordée dans cet article sur l’EEDS et les obligations numériques à venir.

Le maillon faible : la saturation des organismes notifiés

Même les startups les plus rigoureuses sur le plan réglementaire se heurtent à un obstacle structurel : la pénurie d’organismes notifiés certifiés MDR. L’Europe n’en compte que 50, dont seulement deux en France (AFNOR Certification et GMED). Résultat : les délais explosent. Il faut en moyenne 19,5 mois pour faire évaluer son système qualité, et plus de 21 mois pour valider sa documentation technique. Une startup sans activité commerciale pendant 18 à 24 mois met gravement en péril sa viabilité.

Ce goulet d’étranglement est aggravé par les coûts. Le passage au MDR a entraîné une hausse moyenne de 44 % du coût journalier d’audit et de 26 % pour les prestations associées. Pour une DTx de Classe IIa, il faut désormais prévoir entre 45 et 50 000 euros HT dès la première année. Certaines structures consacrent plus de cinq heures par semaine uniquement à la gestion des procédures réglementaires, ce qui déséquilibre vite les ressources humaines en early stage.

L’IA Act ajoute une couche de complexité pour les DTx intelligentes

L’autre révolution réglementaire en marche, c’est l’IA Act. Ce nouveau règlement européen, applicable dès 2027 pour les systèmes à haut risque, s’appliquera à toutes les DTx embarquant de l’intelligence artificielle. Le hic, c’est que ces mêmes dispositifs sont déjà soumis au MDR. Les entreprises devront donc démontrer une double conformité, avec des exigences différentes en termes de transparence, de robustesse algorithmique, de supervision humaine et de traçabilité. Cette convergence réglementaire est décryptée dans notre analyse sur l’IA Act et la régulation des technologies médicales, qui éclaire les implications pratiques pour les éditeurs de solutions à haut risque.

Ce chevauchement réglementaire complique la feuille de route. Une erreur de stratégie ou une mauvaise anticipation des exigences peut décaler la mise sur le marché de plusieurs trimestres. Pour une DTx innovante intégrant un module prédictif ou adaptatif, le choix du niveau de risque IA devra être justifié dans le dossier technique, en plus des exigences classiques du MDR.

Penser la conformité comme une brique stratégique dès le départ

Malgré ce contexte contraint, plusieurs stratégies permettent de ne pas subir la réglementation, mais de l’intégrer comme levier structurant. D’abord, il est impératif de définir l’usage prévu et la classe de risque dès la phase de conception. Une DTx conçue autour d’un objectif clinique clair, documenté selon les recommandations MDCG 2019-11, est plus rapide à certifier.

Ce guide, mis à jour en juin 2025, précise notamment l’importance d’expliciter les interactions entre modules médicaux et non médicaux dans le logiciel, d’utiliser une documentation modulaire pour les systèmes complexes, et de garantir une traçabilité complète entre les preuves cliniques et les fonctionnalités logicielles.

Côté validation clinique, les exigences ne cessent de monter. Les autorités attendent désormais des preuves d’efficacité comparées, sur des critères thérapeutiques mesurables, en population cible. Autrement dit, un simple score de satisfaction utilisateur ne suffit plus. Il faut démontrer un bénéfice thérapeutique réel, parfois face à une prise en charge standard.

Des leviers existent pour financer et structurer la démarche

La bonne nouvelle, c’est que certains mécanismes permettent d’amortir l’effort réglementaire. En France, le dispositif PECAN offre un cadre de remboursement temporaire pour les DTx en phase de transition, jusqu’à 780 euros par patient et par an. Il sert souvent de pont financier pendant la réalisation des études cliniques finales. Ce dispositif reste toutefois réservé aux produits ayant déjà atteint un certain niveau de maturité technique et réglementaire.

À l’échelle européenne, le marché des DTx continue de croître, avec un taux annuel moyen de +23,4 %. L’Allemagne confirme sa dynamique avec 55 DTx déjà remboursées au titre des DiGAs, soit une hausse de 12 % par rapport à 2023. La France reste en retrait mais renforce progressivement ses dispositifs d’accès, notamment via l’évaluation CNEDiMTS ou les expérimentations Article 51.

Pour les fabricants comme pour les investisseurs, l’enjeu est stratégique

Les porteurs de projet DTx doivent désormais intégrer la conformité comme brique fondatrice de leur modèle économique. Cela suppose de prévoir un budget de 18 à 24 mois avant la première facturation, de sécuriser un accompagnement spécialisé en stratégie réglementaire, et de bâtir dès le départ une équipe pluridisciplinaire comprenant une expertise qualité-réglementaire solide.

Du côté des investisseurs, la maturité réglementaire est devenue un critère clé de sélection. Un projet DTx peut avoir un excellent produit et une forte traction clinique, mais être écarté s’il n’a pas anticipé le coût et la complexité de la certification. L’intégration de ces éléments dans les business plans devient une exigence standard, avec une vigilance accrue sur la capacité à naviguer dans les deux cadres MDR et IA Act.

Anticiper pour transformer la contrainte en avantage concurrentiel

Le mur réglementaire européen est réel, mais franchissable. Il impose un changement de posture pour les entrepreneurs DTx, qui ne peuvent plus se contenter d’une logique produit. L’anticipation des exigences, la structuration d’un dossier solide, la maîtrise des délais et la recherche de relais de financement adaptés deviennent des conditions sine qua non. Les entreprises qui sauront les intégrer dès l’origine gagneront en crédibilité, en rapidité d’accès au marché et en confiance vis-à-vis des prescripteurs. Dans un secteur où la compétition s’intensifie, la conformité pourrait bien devenir l’arme des plus stratèges.

Mickael Lauffri

Passionné par l'innovation technologique et l'impact de la science sur la médecine, je suis rédacteur spécialisé dans le domaine des technologies médicales.

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