Innovation Santé 2030 : vers une régulation agile et compétitive ?

La régulation santé 2030 veut conjuguer innovation, agilité et sécurité. Startups et décideurs publics en testent déjà les limites.

Peut-on réguler l’innovation sans l’étouffer ? C’est le pari que tente la stratégie « Innovation Santé 2030 », avec une promesse forte : rendre la France attractive pour les entreprises de santé tout en protégeant les usagers. Sauf que sur le terrain, startups et établissements peinent à suivre la cadence réglementaire.

Entre délais d’accès au marché, parcours d’évaluation complexes et incertitudes juridiques, la France cherche encore le bon curseur. L’arrivée des dispositifs d’expérimentation type Article 51, PECAN, ou encore du bac à sable de la HAS marque une inflexion. Mais cette régulation se veut-elle réellement agile ou simplement plus complexe à contourner ?

Une régulation sous tension : accélérer sans déraper

Avec 7,5 milliards d’euros fléchés sur la santé dans le cadre de la stratégie France 2030, l’État affiche une ambition claire : faire de la France un terreau d’excellence pour l’innovation biomédicale et numérique. Attractivité pour les investisseurs, soutien à la recherche translationnelle, industrialisation en santé : les annonces se multiplient. Mais sur le terrain, les jeunes entreprises innovantes se heurtent à une autre réalité, beaucoup plus rugueuse. L’accès au marché reste un parcours du combattant, trop lent, trop flou, et souvent dissuasif.

Une note du Conseil d’Analyse Économique de mars 2025 le formule sans détour : la lenteur des parcours d’accès bride l’innovation, notamment pour les dispositifs médicaux numériques. Les données de France Biotech confirment ce blocage : il faut aujourd’hui en moyenne sept ans pour qu’un produit innovant parvienne à être remboursé. Dans un secteur où les cycles de développement technologique sont de plus en plus courts, cette temporalité asynchrone étouffe la capacité à déployer des solutions à grande échelle.

Pour tenter d’y répondre, plusieurs dispositifs dérogatoires ont été mis en place. Le PECAN, pour Prise En Charge Anticipée Numérique, permet depuis 2023 un remboursement transitoire pour certains dispositifs médicaux numériques, sans attendre une évaluation complète de la HAS. Il vise à accélérer l’usage en vie réelle et à offrir un financement provisoire pendant les études complémentaires. L’Article 51, bien connu dans les cercles de l’innovation en organisation des soins, permet quant à lui des expérimentations hors nomenclature, souvent à l’échelle régionale, en lien avec les ARS. Enfin, la HAS a lancé un “bac à sable réglementaire”, offrant aux start-ups un accompagnement éthique et méthodologique dès les phases précoces du développement, pour mieux structurer leur stratégie de validation.

Mais ces dispositifs, bien que salués, restent trop souvent perçus comme des solutions parallèles, temporaires, voire exceptionnelles. Leur lisibilité reste limitée, en particulier pour les porteurs de projets non accompagnés par de grandes structures ou des cabinets spécialisés. La promesse d’une régulation agile, compatible avec la vitesse de l’innovation, se heurte encore à une culture administrative fondée sur le médicament, les essais randomisés et des cycles de validation conçus pour un autre temps. Résultat : de nombreuses innovations utiles sur le terrain sont ralenties, déformées ou abandonnées faute de cadre clair.

Pour les professionnels de santé, cela crée un décalage tangible : des outils qui existent, des preuves d’usage qui s’accumulent, mais une absence de reconnaissance officielle qui freine l’adoption. Pour les entrepreneurs, c’est un risque stratégique majeur : sans perspective de remboursement durable, difficile de convaincre les investisseurs. La régulation est donc aujourd’hui à la croisée des chemins. Soit elle parvient à s’adapter aux nouveaux modèles d’innovation en santé, en intégrant des logiques plus itératives, plus rapides, plus lisibles. Soit elle continuera à créer une asymétrie entre les ambitions politiques affichées et la réalité des parcours réglementaires, avec un coût direct pour les patients, les soignants et la compétitivité française.

Startups de santé : l’innovation au cas par cas

Pour les entrepreneurs, chaque solution semble exiger un parcours spécifique. Évaluation par la HAS ? Peut-être. Marquage CE ? Obligatoire. Preuves cliniques ? Oui, mais avec quels moyens ? Intégration dans les SIH ? Souhaitée, mais souvent repoussée.

Prenons l’exemple d’AbilyCare, une start-up qui développe une plateforme d’évaluation fonctionnelle à domicile pour les personnes âgées. Bien que labellisée et utilisée dans plusieurs EHPAD, elle peine à entrer dans un parcours de remboursement pérenne. « On navigue entre PECAN, les appels à projets, les financements régionaux mais il n’y a pas de voie centrale. C’est kafkaïen. »

Même son de cloche pour un industriel : « La régulation est plus agile sur le papier que dans les procédures. Les textes évoluent vite, mais pas les usages ni les circuits administratifs. »

Une volonté d’agilité sous conditions

Du côté des institutions, la volonté de s’adapter est là. La HAS a annoncé en juin 2025 vouloir « tester des procédures allégées pour les innovations à faible risque ». L’Agence du Numérique en Santé travaille sur une cartographie simplifiée des usages numériques intégrables dans Mon Espace Santé. Et la CNAM s’est engagée à améliorer les délais de traitement pour les demandes PECAN.

Mais cette agilité reste encadrée. Le Conseil d’État rappelle dans une note de mai 2025 que « la régulation doit préserver la sécurité sanitaire et la souveraineté numérique, notamment face aux GAFA de la santé ». En clair : ouvrir des portes, oui, mais pas sans garanties.

Par ailleurs, les attentes montent autour d’un « guichet unique » pour les innovateurs santé. En 2026, la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) prévoit de tester un portail intégré qui regroupera évaluation, accompagnement et accès au financement. Un projet attendu de pied ferme par les professionnels.

Le vrai test : harmoniser, pas empiler

C’est l’un des angles morts les plus fréquents évoqués par les innovateurs du secteur : l’empilement réglementaire. Chaque fois qu’un nouveau dispositif voit le jour, il s’ajoute aux précédents sans jamais les remplacer ou les simplifier. On obtient ainsi un millefeuille de mécanismes, de guichets, de procédures spécifiques, souvent redondants, rarement interopérables. Sur le papier, cette diversité donne l’illusion d’une régulation agile. Dans les faits, elle crée un environnement rigide, confus, parfois même dissuasif. Les start-ups, en particulier, peinent à s’orienter dans ce labyrinthe normatif.

La solution ne réside peut-être pas dans la création de nouveaux outils, mais dans une mise à plat du système existant. Harmoniser les dispositifs, clarifier les règles du jeu, hiérarchiser les priorités plutôt que de les disperser. Plusieurs acteurs du secteur appellent à ce changement de paradigme. Le think tank Santé Numérique, par exemple, plaide pour une régulation davantage centrée sur les résultats concrets des innovations plutôt que sur leur conformité formelle. France Assos Santé insiste, de son côté, sur la nécessité de sortir des procédures en silo, de rendre les critères d’évaluation plus lisibles, et surtout de tirer des enseignements clairs des projets qui échouent ou peinent à se déployer.

Ce retour d’expérience systématique, aujourd’hui quasi inexistant, permettrait de transformer chaque expérimentation en source d’apprentissage collectif. C’est aussi une condition indispensable pour construire une régulation réellement évolutive, capable de s’adapter au rythme des usages, des attentes du terrain et des cycles technologiques. En somme, il ne s’agit pas d’ajouter de la complexité à l’existant, mais de faire mieux avec moins, en gardant comme boussole unique l’impact réel sur les parcours de soin et la santé des patients.

Réguler autrement pour innover vraiment

L’enjeu ne se limite pas à « faire simple » : il s’agit de faire mieux. Une régulation intelligente, agile et cohérente, capable d’accompagner l’innovation sans sacrifier l’éthique ni la sécurité. Les outils existent, les signaux sont positifs, mais la gouvernance reste à clarifier.

Pour les innovateurs, cela signifie un besoin urgent de visibilité. Pour les institutions, un impératif de coordination. Et pour le système de santé, une opportunité de modernisation qu’il ne peut plus se permettre de rater.

Mickael Lauffri

Passionné par l'innovation technologique et l'impact de la science sur la médecine, je suis rédacteur spécialisé dans le domaine des technologies médicales.

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