La France peut-elle imposer son leadership en imagerie médicale à linternationale ?
La France peut-elle s’imposer comme leader mondial en imagerie médicale ? Analyse des forces, freins et leviers pour accélérer l’innovation.

L’enjeu est stratégique : faire de l’imagerie médicale un levier d’indépendance technologique et d’attractivité économique. Mais entre ambitions industrielles et contraintes de terrain, la France peut-elle réellement viser le leadership mondial ? Si le pays dispose de pépites technologiques et d’un écosystème hospitalier performant, le passage à l’échelle reste semé d’embûches. Décryptage.
Une filière stratégique et sous tension
Scanner, IRM, TEP-scan, échographie : l’imagerie médicale est partout. En cancérologie, en neurologie, en cardiologie, elle devient même un pilier de la médecine personnalisée. D’ici 2030, le marché mondial dépassera les 50 milliards d’euros, selon ReportLinker. Un champ de bataille économique autant que technologique, où l’IA, la robotique et la connectivité redéfinissent les règles.
En France, l’imagerie représente un levier prioritaire identifié dans le plan Innovation Santé 2030. Objectif affiché : produire localement, valoriser les données et soutenir l’export. « Nous avons les compétences pour devenir leaders européens », déclarait récemment le Pr Olivier Clément (AP-HP), spécialiste en radiologie interventionnelle. Mais sur le terrain, les contraintes budgétaires, les retards de mise à jour des équipements et les lourdeurs d’évaluation freinent l’essor.
Des pépites technologiques, mais un marché éclaté
Cocorico : la France compte plusieurs acteurs de pointe. TheraPanacea, Gleamer, Incepto ou Pixyl développent des solutions d’intelligence artificielle en radiologie qui rivalisent avec les meilleures plateformes américaines ou israéliennes. Ces startups collaborent déjà avec des CHU, participent à des essais cliniques, et certaines sont même référencées dans Mon Espace Santé.
D’autres misent sur le hardware : Guerbet, acteur historique, développe des produits de contraste innovants, tandis que Bioserenity ou Ecential Robotics exportent leurs technologies jusqu’en Asie ou aux États-Unis. En 2023, la startup AZmed est devenue la première entreprise française à obtenir le marquage CE MDR pour une IA d’aide au diagnostic osseux.
Mais ce dynamisme cache un problème de fragmentation. Trop peu d’outils français parviennent à s’intégrer durablement dans les workflows hospitaliers ou à accéder aux marchés étrangers. Les acteurs doivent jongler entre procédures réglementaires complexes, évaluations longues et manque de lisibilité sur les modèles économiques. Résultat : beaucoup de projets restent cantonnés à la phase pilote, sans passage à l’échelle.
L’hôpital, terrain d’innovation ou labyrinthe d’accès ?
L’enjeu principal ne réside pas dans la technologie, mais dans son usage réel. L’imagerie médicale numérique change profondément le moment du choix pour les professionnels : il ne s’agit plus seulement d’avoir un bon cliché, mais d’interpréter des volumes massifs de données, d’anticiper les complications, de guider un geste.
La mise en œuvre concrète de ces outils suppose des intégrations fines dans les systèmes d’information, une compatibilité avec les PACS et RIS, et surtout une confiance dans l’aide à la décision fournie par l’IA. Or, selon une étude menée par l’ISMRM en 2024, 58 % des radiologues interrogés en Europe estiment que les outils d’IA sont « insuffisamment transparents » ou « mal adaptés à leurs pratiques ».
Côté établissements, l’achat d’une solution d’imagerie numérique ne se fait plus sur la seule performance technique. Il faut désormais prendre en compte l’ergonomie clinique, la facilité d’intégration, la formation des équipes, le niveau de support, la certification, les garanties de cybersécurité et le coût de possession à long terme. Ce changement de paradigme bouleverse les logiques d’achat, encore très marquées par les appels d’offres orientés coût initial.
Leadership à la française : une ambition crédible mais conditionnelle
La France a des atouts : des data sets de qualité (via le Health Data Hub), un réseau hospitalier dense, des chercheurs reconnus. Le programme France 2030 prévoit 800 millions d’euros dédiés aux dispositifs médicaux, avec un accent mis sur l’imagerie et l’IA clinique. L’initiative « PEPR Imagerie du futur » portée par le CNRS et le CEA vise justement à structurer une filière de rupture, entre photonique, quantique, et IA.
Mais pour faire émerger un véritable leadership international, trois conditions doivent être remplies : accélérer les accès au marché, renforcer la collaboration entre industriels et établissements et soutenir l’export par la diplomatie sanitaire. Aujourd’hui, un grand nombre d’innovations françaises sont freinées par des circuits d’évaluation trop longs ou inadaptés aux cycles technologiques.
Le dispositif PECAN (prise en charge anticipée numérique), les guichets d’innovation de la DGOS ou les appels à projets du Grand Défi sont des leviers utiles. Mais ils restent ponctuels. Sans réforme structurelle de l’accès au remboursement, notamment pour les outils numériques en imagerie, la plupart des acteurs français risquent de rester confinés à une niche.
Un enjeu d’indépendance technologique et de souveraineté
Au-delà de la simple performance économique, la montée en puissance de l’imagerie numérique questionne la souveraineté sanitaire. L’essentiel des logiciels de radiologie utilisés dans les hôpitaux français vient encore des États-Unis ou d’Israël. Les plateformes d’archivage (PACS), les outils d’interprétation assistée, ou les plateformes d’IA clinique dépendent de solutions souvent peu interopérables, parfois opaques.
La maîtrise des données d’imagerie devient stratégique, tant pour la recherche que pour les usages cliniques. L’exploitation de ces données dans des projets de formation des IA doit se faire sous contrôle public ou partenarial. C’est tout l’enjeu du développement de data centers certifiés HDS et du soutien aux cloud souverains dans le secteur santé.
Certains établissements tentent de reprendre la main. Le CHU de Strasbourg a développé sa propre base d’images anonymisées pour former des modèles internes. L’AP-HM expérimente des boucles fermées entre acquisition, traitement et archivage en local, sans passage par des clouds étrangers. Ces démarches, encore minoritaires, préfigurent un possible virage stratégique.
Miser sur l’usage, pas seulement sur l’innovation
La France peut-elle imposer son leadership en imagerie médicale ? Oui, à condition de réorienter l’ambition nationale non seulement vers la création d’outils performants, mais surtout vers leur usage massif, intégré, sécurisé. Le vrai test du leadership ne se joue pas dans les laboratoires, mais dans les blocs opératoires, les cabinets de radiologie, et les serveurs hospitaliers.
Ce leadership sera moins technologique que systémique. Il reposera sur la capacité à articuler R&D, financement, formation des professionnels, accompagnement au déploiement et accès au marché international. C’est un pari de coordination, plus que d’innovation brute.
Si la France réussit ce tournant, elle pourra non seulement affirmer son indépendance stratégique, mais aussi devenir une référence internationale en matière d’imagerie médicale au service des parcours de soin. Le terrain est prêt, les acteurs sont là, mais l’orchestration reste à écrire.