Comment convaincre un investisseur quand on développe un dispositif médical numérique ?
Pourquoi les DM numériques attirent mais ne suffisent plus à convaincre. Ce qu’un fondateur a vraiment intérêt à comprendre pour éviter les refus, la dilution excessive ou les années perdues.

À l’heure où les fonds se font plus sélectifs, lever du capital pour un DM numérique ne se joue plus sur la promesse technologique, mais sur la capacité à démontrer une trajectoire réglementaire, un impact clinique mesurable et un modèle économique crédible. En 2025, ce sont ces trois leviers qui font ou défont une levée.
Une promesse d’innovation ne suffit plus
Le paysage français des startups en santé numérique continue de montrer des signes de vitalité : près d’un milliard d’euros levés en 2024, selon le fonds Karista, qui recense plus de 300 opérations en Europe. Pourtant, derrière ces chiffres, une réalité s’installe : le financement devient plus exigeant, plus lent, plus structurant.
Le montant moyen des levées a chuté de 20 à 10 millions d’euros en deux ans. Le dealflow est toujours là, mais les investisseurs se recentrent sur les dossiers solides, comme le prouve Nabla et sa levée de fonds de 70 millions. Pour une startup qui développe un dispositif médical numérique, une application de suivi, un logiciel d’aide au diagnostic, une IA d’analyse d’imagerie ou un capteur connecté, il ne suffit plus de séduire. Il faut rassurer. Et convaincre.
Des fonds disponibles, mais alloués avec rigueur
Malgré le ralentissement conjoncturel, l’écosystème français reste bien pourvu. Bpifrance a injecté 1,25 milliard d’euros en 2024 dans la numérisation du secteur santé. Le fonds Patient Autonome soutient les projets centrés sur l’empowerment des patients (Invivox, Withings, Lucine). LBO France a bouclé son deuxième véhicule Digital Health à 155 millions d’euros. Angels Santé, premier réseau européen de business angels spécialisés, reste très actif en early stage. Mais cette abondance relative masque un resserrement des critères.
Chez Angels Santé, seuls 6 % des dossiers présentés en comité reçoivent un financement. Et ce chiffre illustre une tendance de fond : les projets qui avancent sont ceux qui savent répondre à des questions concrètes. Où en est le marquage CE ? Quel est le niveau de preuve médico-économique ? Quelle est la stratégie de remboursement ? Comment se structure la roadmap d’internationalisation ? Sans réponse claire à ces points, même un produit prometteur risque de passer à côté.
La barrière réglementaire, un filtre devenu stratégique
Depuis l’entrée en application du Règlement européen sur les dispositifs médicaux (RDM 2017/745), les exigences se sont durcies. Et elles concernent désormais une majorité des solutions de santé numérique. En 2024, seules 24 % des sociétés medtech avaient réussi à faire certifier leurs produits. Le reste ? En attente, recalé, ou en redéfinition de stratégie. Les délais d’obtention du marquage CE peuvent atteindre 48 mois, avec des budgets qui varient entre 200 000 euros pour un DM logiciel de classe I et plusieurs millions d’euros pour un dispositif plus complexe.
À cela s’ajoutent les contraintes françaises spécifiques : certification au Référentiel d’Interopérabilité et de Sécurité de l’ANS, étape indispensable pour tout espoir de remboursement ; évaluation par la HAS, avec une phase transitoire de prise en charge anticipée d’un an non renouvelable ; et inscription potentielle à la Liste des Produits et Prestations Remboursables (LPPR), un parcours encore balbutiant pour les DM numériques.
Dans ce contexte, une startup incapable de démontrer qu’elle a intégré ces éléments dans sa stratégie perd immédiatement en crédibilité. Ce n’est pas qu’une question réglementaire : c’est une question de viabilité économique. Tout investisseur veut savoir où va l’argent, dans quels délais, et avec quels points de passage.
Le vrai juge de paix : l’impact médico-économique
Les startups healthtech ne peuvent pas se contenter de démontrer l’efficacité technique d’un outil. Il faut aller plus loin : montrer qu’il améliore concrètement la prise en charge, réduit les coûts évitables, ou fluidifie le parcours de soins. Les indicateurs attendus sont désormais codifiés : taux de réhospitalisation évitée, temps d’accès aux soins réduit, satisfaction patient, impact du taux de rétention à 90 jours. Appthera a su répondre à ces exigences et accélère l’adoption des thérapies numériques en France.
Un exemple ? Une solution de télésurveillance qui affiche un taux d’abandon supérieur à 50 % au bout de trois mois aura du mal à convaincre, même si elle a été bien conçue. À l’inverse, une application simple qui parvient à prouver un bénéfice net en vie réelle, même sur une cohorte réduite, gagnera en crédibilité.
Cette exigence se reflète aussi dans la structuration des appels à projets publics : l’évaluation médico-économique devient une condition de financement. Bpifrance propose des aides pouvant aller jusqu’à 5 millions d’euros sur 3 ans pour structurer ces preuves. Un bon dossier de levée doit intégrer ces éléments en budget, en timeline, et en méthodologie.
Des modèles économiques plus lisibles, mais pas tous crédibles
Le modèle SaaS B2B s’est imposé comme le standard pour les logiciels médicaux. En 2025, 85 % des solutions professionnelles en santé numérique adoptent cette logique : abonnement mensuel facturé aux établissements, avec des modules à la carte. C’est un modèle qui rassure les investisseurs : récurrence des revenus, capacité à scaler, prévisibilité. L’exemple de SeqOne, qui vient de lever 20 millions d’euros pour accélérer l’internationalisation de sa plateforme en génomique assistée par IA
Mais ce modèle n’a de valeur que s’il est adossé à un usage réel et soutenu. Facturer un service inutilisé ne garantit rien. L’un des principaux points de vigilance porte sur le taux de churn et le coût d’acquisition client (CAC). Dans le domaine hospitalier, il est fréquent qu’un établissement ne renouvelle pas une solution après un an, faute d’intégration réelle dans les usages.
Le modèle freemium B2C reste marginal en DM, car il repose sur un utilisateur final qui n’est ni le prescripteur ni le payeur. Le B2B2C peut fonctionner, par exemple via des mutuelles ou des employeurs, mais il impose des négociations longues et des cycles de vente complexes. Là encore, les projets qui avancent sont ceux qui savent prouver leur valeur au bon niveau du système.
Les erreurs qui font capoter une levée
Elles sont nombreuses, mais certaines reviennent de manière quasi systématique.
Première erreur : sous-estimer les coûts et les délais réglementaires. Penser qu’un marquage CE se fait en 12 mois pour 100 000 euros, sans accompagnement, est irréaliste en 2025.
Deuxième erreur : présenter des projections financières linéaires et optimistes, sans intégrer d’hypothèse basse, ni de scénarios alternatifs. Les investisseurs expérimentés veulent voir votre capacité à encaisser une mauvaise surprise.
Troisième erreur : arriver avec un projet non aligné avec la doctrine de remboursement française, ou qui dépend d’un modèle économique bancal (par exemple, faire reposer son plan de revenus sur la vente à des patients atteints de pathologies chroniques, sans prescription ni remboursement).
Quatrième erreur : négliger l’après-levée. Trop de fondateurs considèrent la levée comme une fin en soi. Pourtant, ce n’est que le début : reporting, gouvernance, structuration RH, pilotage des KPIs… L’absence de préparation peut coûter cher.
L’international, souvent sous-estimé, mais décisif
En France, le marché reste fragmenté, lent, contraint par la régulation. La croissance passe souvent par l’export, et les investisseurs le savent. En 2019 déjà, le taux de croissance à l’international était supérieur à celui du marché domestique (10 % contre 3 %). Cette tendance s’est accentuée.
Mais là encore, il ne suffit pas d’annoncer une ambition. Il faut cartographier les écarts réglementaires (notamment entre marquage CE et FDA), intégrer les coûts d’accès au marché, et identifier des relais locaux ou des partenaires distributeurs. Une levée de fonds qui n’intègre pas ce volet ou qui l’évacue trop vite, apparaît incomplète.
Préparer un dossier de levée béton : les étapes à ne pas improviser
Avant même d’entrer en discussion avec un investisseur, une startup de santé numérique doit franchir une étape souvent sous-estimée : la construction d’un dossier structuré, crédible et aligné avec les exigences du secteur. Trop de projets échouent non pas à cause d’un manque d’innovation, mais parce qu’ils présentent des plans flous, sous-estiment les étapes réglementaires ou ignorent les critères de due diligence.
Voici, à partir des retours de terrain de réseaux comme Angels Santé, d’analyses d’acteurs comme Linkera, CrediPro, FasterCapital ou du Snitem, les principales étapes à maîtriser.
1. Définir un besoin de financement étayé et crédible
L’erreur classique est de demander “ce qu’il manque pour tenir 18 mois”. Or, un investisseur attend une ventilation claire : combien pour le marquage CE (sources : Snitem, industriels.esante.gouv.fr), combien pour l’étude clinique, combien pour le déploiement commercial. Ce besoin doit être relié à des jalons précis et intégrés dans un plan global incluant le besoin en fonds de roulement. Une absence d’alignement entre roadmap produit et usage des fonds est l’un des premiers signaux d’alerte pour un comité d’investissement.
2. Projeter des scénarios financiers différenciés
Un bon dossier ne présente pas un unique prévisionnel optimiste. Il formalise au moins trois trajectoires (central, prudent, ambitieux), avec des hypothèses explicites sur l’évolution du MRR, la vitesse de recrutement, le taux de churn, ou la valorisation cible. Linkera recommande d’intégrer aussi les “points de friction” connus du secteur, comme les délais de remboursement, la lenteur des appels d’offres hospitaliers ou les cycles d’adoption terrain.
3. Maîtriser sa trajectoire réglementaire
Pour un dispositif médical numérique, la régulation est un passage obligé : classification du DM, marquage CE (Snitem), conformité au référentiel ANS, anticipation d’une évaluation HAS dans le cadre de la PECAN. Chaque étape doit être budgétée, planifiée et intégrée dans la stratégie produit. Selon les données du Snitem, le coût global peut atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros, avec une durée de 12 à 48 mois selon la classe du DM.
4. Intégrer des preuves de traction, même partielles
Un partenariat avec un centre hospitalier, une étude pilote, un POC terrain ou un soutien institutionnel (ex. AMI Santé numérique de Bpifrance) peut faire la différence. Les données de FasterCapital confirment que les startups qui démontrent un usage réel, même limité, ont un taux de succès de levée bien plus élevé que celles qui restent au stade du prototype non testé.
5. S’entourer de profils crédibles dès l’amorçage
Un board médical, un expert réglementaire, ou un investisseur-mentor connu du secteur santé peut rassurer un fonds sur la gouvernance et la maturité stratégique. Angels Santé souligne régulièrement ce point dans ses critères de sélection : la qualité de l’équipe élargie compte autant que la technologie elle-même.
6. (Bonus) Préparer l’après-levée dès l’avant-levée
L’accompagnement post-investissement est souvent négligé. Pourtant, 51 % des fondateurs interrogés par Bpifrance reconnaissent avoir eu des difficultés à structurer leur pilotage stratégique après une levée. Gouvernance, reporting, KPIs mensuels, stratégie RH, pilotage commercial… Autant d’éléments à anticiper dès la phase de discussion avec un fonds.
Lever des fonds, oui, mais pour faire quoi ?
La levée de fonds n’est pas une victoire. C’est une étape. Et parfois, une charge. Les bons investisseurs ne cherchent pas une innovation brillante : ils cherchent une solution utilisable, validée, scalable et différenciante.
En 2025, convaincre un fonds dans le secteur des dispositifs médicaux numériques, c’est démontrer sa capacité à naviguer dans un environnement contraint, à structurer sa trajectoire réglementaire et économique, et à produire de la preuve, pas du storytelling.
À ce prix-là, le financement est possible. Mais il ne se gagne pas avec une idée. Il se gagne avec une exécution maîtrisée. Et une anticipation lucide de ce que le marché exige, pas seulement de ce que la technologie permet.